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Mais que tu m’es plus chère, ô maison de l’ivresse,
Balcon où frémissait le chant du rossignol,
Où Juliette qui caresse
Suspend Roméo à son col !

Ah ! que tu m’es plus cher, sombre balcon des fièvres,
Où l’échelle de soie en chantant tournoyait,
Où les amans, mêlant leurs lèvres,
Sanglotaient entre eux : « Je vous ai ! »

— Que l’amour soit béni parmi toutes les choses,
Que son nom soit sacré, son règne ample et complet ;
Je n’offre les lauriers, les roses.
Qu’à la fille des Capulet !


L’ILE DES FOLLES À VENISE


La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
— Ce rose bâtiment, c’est la maison des folles.

Fleur de la passion, île de Saint-Clément,
Que de secrets bûchers dans votre enceinte ardente !
La terre desséchée exhale un fier tourment,
Et l’eau se fige autour comme un cercle de Dante.

— Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés.
Où l’air appesanti couve son noir orage,
J’entends ces voix d’amour et ces cœurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages.

Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m’apporte l’odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu’à mon cœur ces suprêmes sanglots.
— O folie, ô sublime et sombre poésie !