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l’ordre du jour de la « ligue anti-japonaise. » On invoquait volontiers, comme le principal argument, l'âge des écoliers : il est exact que plusieurs d’entre eux d’origine japonaise étaient sensiblement plus âgés que leurs camarades américains des mêmes cours. Mais la rédaction même de l’arrêté du 11 octobre prouvait que c’était la race, et non point l’âge, que le Board of Education s’était proposé d’atteindre[1]. Cette mesure était injuste : car on ne relevait contre les petits Japonais aucun fait précis. On pouvait même penser qu’elle violait le traité nippo-américain du 22 novembre 1894 qui, fixant les « droits de résidence et de voyage, » garantissait aux sujets ou citoyens des deux pays « les mêmes privilèges, libertés et droits, et les mettait à l’abri de tout impôt ou charges plus lourdes que ceux imposés aux nationaux, sujets ou citoyens de la nation la plus favorisée. » Sans doute, en cet article, le régime scolaire n’était pas mentionné. Mais comment justifier, au regard de la clause qu’on vient de lire, les restrictions imposées aux Japonais ? En réalité, les autorités de San Francisco passaient outre au traité Gresham-Kurino, d’abord parce que cette violation était agréable à la majorité de l’opinion californienne, — il suffisait, pour s’en assurer, de parcourir les journaux locaux, — ensuite, parce que c’était une façon d’imposer au gouvernement de l’Union l’examen de la question japonaise. L’affaire des écoles, si intéressante qu’elle fût en elle-même, était surtout un prétexte, une amorce. Elle constituait l’entrée de jeu d’une partie préparée de longue date et que les Californiens allaient diriger de main de maîtres.

Dès la fin d’octobre, le vicomte Aoki, ambassadeur du Japon, appela l’attention de M. Root, secrétaire d’État, sur les événemens de San Francisco. Rien de plus naturel. Mais tout de suite, la « presse jaune » américaine déclara que le vicomte Aoki avait parlé d’un ton singulièrement vif. Et le Times lui-même s’appropria cette information inexacte. En réalité, l’ambassadeur du Japon s’était borné à résumer des faits et à rappeler un texte ; des faits : le boycottage scolaire de San Francisco et la décision du Board of Education ; un texte : l’article du traité Gresham-Kurino qui a été rappelé plus haut. A Tokyo, le ministère s’employait en même temps à calmer l’opinion et à modérer la presse. Le Jipi Shimpo publiait un article d’explications,

  1. Dès le mois de mai 1905, le Board of Education avait annoncé son intention de créer des écoles spéciales pour les Chinois et les Japonais.