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La haine des ouvriers blancs groupés en puissans syndicats contre la concurrence des Japonais immigrés se nourrit d’autres argumens encore. Si les Japonais ne se livraient qu’aux travaux élémentaires, laissant aux blancs les opérations plus compliquées et mieux payées, la rancune de ceux-ci serait peut-être moins amère. Mais le Jap, d’abord agriculteur, maraîcher, domestique, ne s’est pas arrêté là. On le rencontre maintenant dans le petit commerce. Bien mieux, certains Japonais d’Amérique sont de véritables capitalistes qui possèdent et qui dirigent d’importantes exploitations. La Californie, en 1906, comptait près de 600 magasins, près de 700 restaurans ou auberges dirigés par des Japonais. On assure qu’ils possèdent déjà une étendue de terre considérable. Ceux des villes ont leurs clubs où ils se réunissent[1]. Cette infiltration continue fournit matière à des accusations de toute sorte. On reproche aux Japonais de pratiquer l’espionnage, espionnage commercial tendant à la contrefaçon, espionnage politique aussi ou même militaire. On s’étonne de voir beaucoup d’entre eux accepter des fonctions manifestement inférieures à leur culture, de rencontrer des domestiques dans la chambre desquels on découvre par hasard des livres de mathématiques ou d’histoire. Qui ne connaît, à ce sujet, l’anecdote classique de l’officier de marine américain retrouvant sous les espèces du commandant d’un cuirassé japonais son ancien boy ? On note d’autre part que cette immigration japonaise se poursuit avec l'aveu et presque sous le contrôle du gouvernement du mikado : car si, depuis six ans, les autorités de Tokyo détournent le prolétariat de l’émigration d’aller aux États-Unis, elles laissent partir chaque année plusieurs milliers de coolies pour les Hawaï[2], colonie américaine d’où, sans difficulté aucune, ils pénètrent ensuite sur le territoire de l’Union. Quelles arrière-pensées, se demande-t-on, cache cette invasion pacifique ?

La façon de vivre des Japonais aggrave les ressentimens qu’ils inspirent. D’après de nombreux témoignages, il est permis de penser que ceux qui passent aux États-Unis ne sont pas l’élite de leurs compatriotes. Souvent, d’ailleurs, le séjour aux Hawaï, sous le dur régime de la plantation, corrompt les meil-

  1. Voyez Achille Viallate, Américains, Japonais et Californiens.Revue Bleue, 16 avril 1907.
  2. Voyez Aubert, la Maîtrise du Pacifique ; les Hawaï.Revue de Paris, 1er février 1907.