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cette région. On projetait même, quelques coloniaux importuns du moins, ce qui eût été, à notre sens, une déviation fâcheuse, au lieu de pousser le chemin de fer au Sud dans la direction de nos oasis et ultérieurement du Niger, de le faire obliquer vers le Tafilelt et contourner ainsi le Maroc pour rejoindre l’Atlantique ou s’en rapprocher.

Comment cette entente initiale qui, si elle n’avait pas porté sur tous les points des protocoles de 1901 et 1902, en avait, du moins, fait appliquer, de la façon la plus heureuse, les principaux, a-t-elle subi une rupture, et comment une hostilité sourde lui a-t-elle succédé ?

Il y a deux causes, selon nous, à ce changement. Les conventions passées avec l’Angleterre et l’Espagne en 1904 ont convaincu le Maroc que, sous une forme ou sous une autre, nous voulions dominer le pays et supprimer son indépendance. En même temps, le contrat conclu avec les banques françaises, également en 1904, pour un prêt de 62 millions au Sultan, stipula que les agens des banquiers percevraient les droits de douane ou en contrôleraient la perception, ce qui parut aussi une atteinte à l’indépendance du Maroc et contribua à répandre parmi les Marocains l’idée que le Sultan avait vendu le pays aux Roumis.

Telles paraissent bien être les deux causes qui, à partir de 1904 particulièrement et avant l’intervention de l’Empereur allemand au printemps de 1905, ont complètement transformé les dispositions et du Makhzen et de la population à l’endroit de la France. Nous comprenons, certes, que les banquiers français ne se soient pas aventurés à prêter 62 millions au Sultan sans prendre des gages ; nous comprenons aussi que la France ait voulu faire cette opération de peur que l’Allemagne ne la fit ; mais cette prise d’hypothèque, ce contrôle des recettes par des agens européens, survenant au moment des conventions entre la France et l’Angleterre, la France et l’Espagne, puis suivis de l’ambassade et des propositions, sinon de l’ultimatum, de M. Saint-René Taillandier, ont surexcité au plus haut degré le patriotisme et le fanatisme des Marocains. La visite à Tanger de l’Empereur allemand, son discours impérieux, l’attitude agressive à notre égard de la diplomatie et de la presse allemandes ont encore, en donnant confiance aux Marocains, exaspéré ce sentiment d’hostilité contre nous.

Telle étant la situation, la politique que nous devons suivre,