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moyens apparaîtraient comme ridiculement inefficaces ; il faudrait nettement recourir aux troupes purement françaises, et c’est ici que le service de deux ans et que le recrutement régional surgiraient comme des obstacles quasi insurmontables. Quand la vieille armée d’Afrique, dans une série de campagnes qui durèrent dix-sept ans et qui, après ces dix-sept ans, laissaient encore le massif montagneux de la Kabylie intouché (il ne fut pris que dix ans plus tard) ; quand l’armée d’Afrique conquit si héroïquement, mais si longuement et si patiemment, l’Algérie, elle se composait de soldats de sept ans et les régimens étaient recrutés sur toute la France. La conquête et la garde du Maroc exigeraient certainement le concours de 100 000 ou 120 000 hommes pendant tout au moins une demi-douzaine d’années et celui de 50 à 60 000 hommes éternellement. Sans doute, on dira que, par la relative trouée de Théza, un corps d’armée de 30 000 à 35 000 hommes pourrait peut-être arriver à Fez. Mais quand on tiendrait cette ville, serait-on plus avancé ? Pour prendre le Maroc, il faudrait plusieurs bases d’opération, non seulement celle de l’Algérie, mais d’autres sur l’Océan ; a-t-on réfléchi aux effectifs nécessaires pour la garde des étapes et pour l’escorte des convois dans un pays où il faudrait faire tout venir du dehors, non seulement les munitions, mais les provisions ? L’attaque récente, par les Beni-Snassen, d’une colonne française de 700 hommes pourvue de deux canons sur la frontière même algérienne prouve le nombre énorme de troupes qui serait nécessaire à la protection des convois.

Une conquête, comme celle du Maroc, est une opération d’un autre âge et d’un autre régime ; rien ne s’y prête dans nos institutions, soit politiques, soit militaires. L’effort exigé, l’intensité et encore plus la longue continuité de cet effort, répugnent à notre état social, politique et économique. L’Algérie, on l’a vu plus haut, revient à plus de 4 milliards à la France ; le prix de revient du Maroc serait encore plus élevé.

Et pour quels résultats se lancerait-on dans cette aventure ? Le Maroc ne pourrait être pour nous une colonie de peuplement, puisque, bien loin d’être un pays d’émigration, nous devenons de plus en plus un pays d’immigration. Il ne peut pas être davantage une colonie d’exploitation, puisque l’on se résigne par avance à ce que nous n’y jouirions de privilège d’aucune sorte, ni au point de vue douanier, ni à celui des concessions ou