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Cette émouvante séance fut la dernière à laquelle assista Ségur. Atteint depuis longtemps d’un mal inguérissable, il resta depuis lors confiné au logis, sans force et le corps délabré, mais toujours sociable, accueillant, et toujours entouré de quelques amitiés fidèles. C’est de là qu’il suivit, avec un intérêt mêlé de crainte et d’espérance, la lutte des journées de Juillet, et qu’il vit pour la seconde fois crouler la monarchie traditionnelle. Au lendemain de ces événemens, où le triomphe de ses idées lui laissait néanmoins des doutes sur la durée de cette victoire, dans le cabinet de Ségur, quatre vieillards, dont le plus jeune était septuagénaire, causaient, raconte Sainte-Beuve, assis sur le même canapé : c’étaient, avec le maître de maison, le général Mathieu-Dumas, Barbé-Marbois et Lafayette ; ils parlaient des révolutions passées, de celles qu’ils prévoyaient encore, et échangeaient leurs vues sur les destins de leur patrie ; sans illusion sur le présent, ils gardaient, malgré tout, une ferme confiance dans l’avenir. « C’était, dit l’auteur du récit, un spectacle touchant et inoubliable pour qui l’a pu surprendre, que cet entretien prudent, fin et doux, que ces vieillesses amies, dont l’une allait être bien jeune encore et dont aucune n’était lassée... » Quinze jours plus tard, le 27 août 1830, sans souffrance et sans agonie, s’éteignait le comte de Ségur. Le vieux poète Arnault prononça, au nom de l’Académie, un discours sur sa tombe, où je relève ces lignes : « Il réunissait à ce que la culture des lettres peut apporter de plus piquant, ce que les habitudes du grand monde peuvent prêter de plus aimable au commerce de l’homme de lettres. » Cet éloge, semble-t-il, caractérise avec justesse ce que les contemporains du Grand Roi, en termes plus concis, eussent appelé simplement « une figure d’honnête homme. »


SEGUR.