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dominateur. La population indigène en Tunisie est douce, molle, relativement policée ; elle se rapproche un peu de celle de l’Egypte ; plus l’on va vers l’Ouest, plus la population arabe et kabyle révèle de la vigueur et de l’énergie ; le Marocain est, d’ailleurs, très connu dans toute l’Afrique française ; il apporte ses bras non seulement dans la province d’Oran, mais jusqu’en Tunisie ; il s’y livre non seulement aux tâches agricoles, mais aux travaux de mines ; c’est un rude travailleur ; il a aussi une spécialité, à Tunis notamment : on le prend assez fréquemment pour gardien de maison ou de magasin ; il a la réputation d’un être peu sociable et farouche. La Tunisie avait un gouvernement bien établi, avec lequel il suffisait de traiter pour que le pays se soumît ; le Maroc est absolument anarchique et un traité avec le Sultan ne résoudrait rien.

Maroc et Tunisie forment ainsi, physiquement et moralement, un parfait contraste : autant il fut facile, une voie ferrée préalable, d’ailleurs, y aidant, d’occuper la seconde ; autant il serait malaisé de prendre possession du premier. On ne voit même pas, depuis l’introduction en France du service militaire de deux ans et du recrutement, resté en grande partie régional, de quels moyens nous pourrions disposer pour conquérir et occuper le Maroc. Il n’a échappé à aucun observateur attentif que le gouvernement a éprouvé des difficultés sérieuses pour composer le petit corps de 7 000 hommes, aujourd’hui réduit par la maladie, les désertions, plus que par les blessures, à 6 000, de Casablanca, et l’autre petit corps de naguère 3 000 hommes à Oujda et aux environs. Pour rassembler ces 10 000 hommes il a fallu laborieusement cueillir un bataillon ici, une compagnie là, une section d’artillerie dans une province et une autre dans une province différente ; on a dû faire cette laborieuse cueillette jusqu’en Tunisie. On a remarqué avec quel souci le gouvernement n’envoyait sur le théâtre des opérations que des bataillons de la légion étrangère ou de tirailleurs indigènes, des goumiers et des spahis, évitant avec le plus grand soin d’y joindre des troupes françaises proprement dites ; les sections d’artillerie naturellement faisaient exception, et aussi quelques très modiques détachemens de chasseurs ; ce n’est qu’après que notre frontière algérienne fut plusieurs fois violée qu’on se décida à mettre en mouvement quelques compagnies de zouaves.

Il est clair que, s’il s’agissait d’occuper le Maroc, ces petits