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VI

Si excusable qu’elle pût être, la défection était flagrante, et la seconde Restauration la lui fit justement, bien que durement, payer. Dépouillé de ses dignités, de ses pensions et de son siège à la Chambre des pairs, il dut, une fois de plus, demander à sa plume, plus que sexagénaire, les ressources indispensables à la vie journalière.

C’est de cette période difficile que date la lettre ci-après adressée à ses descendans pour leur expliquer sa conduite, et mise en tête du manuscrit de l’un de ses ouvrages ; j’en donne ici les passages principaux[1] : « Je n’ai pas de fortune à vous léguer. Celle que je tenais de mes pères m’a été enlevée par la Révolution, et j’ai été privé par le gouvernement royal de presque toute celle que je devais à mes travaux et aux services rendus à ma patrie. J’ai préféré cette patrie à tout, et plus elle est malheureuse, plus je l’aime. J’ai été, je suis et je serai toujours dans les rangs de ceux qui ont voulu la défendre, et qui voudront lui rendre son indépendance, sa force et sa gloire... La perte de mes biens et de mon rang ne peut me faire regretter de m’être montré fidèle à un principe que je crois juste, à un devoir qui me paraît sacré. Si les étrangers ne se fussent pas mêlés de nos querelles, ma conduite eût été toute différente, mais je vois en ennemi tout ce qui combat la France sous les drapeaux de l’étranger, en ami tout ce qui s’oppose à leurs armes. Il viendra un temps où il sera plus glorieux d’être tombé en résistant que de s’être élevé en pliant sous l’étranger ; mais cette gloire est un legs que vous ne recueillerez peut-être qu’un peu tard... Une bonne renommée, du moins, est un bel héritage, et je crois que je vous le lègue, car j’ai, dans une longue vie et dans de grandes places, fait du bien à beaucoup de gens et n’ai fait de mal à personne. »

De même que, vingt années plus tôt, pressé par une nécessité pareille, Ségur s’était fait vaudevilliste sous la Révolution, sous la Restauration il se fit journaliste ; et la presse libérale, à qui la loi laissait alors une assez large indépendance, compta parmi

  1. Lettre du 1er décembre 1817. Archives de famille.