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la tribune. Les grenadiers se groupent aux pieds de la statue de l’Empereur. Philippe prend la parole, explique l’objet de sa mission, puis, sa harangue achevée, descend de la tribune et, parmi les applaudissemens, va s’asseoir auprès de son père. Nouveau discours, cette fois du président Fontanes. « Que ces drapeaux teints de son sang, s’écrie-t-il en montrant le fils de son confrère, doivent paraître beaux à sa mère, à son épouse, à son père, qui versent des larmes de joie et sur qui semblent s’arrêter tous les regards de cette assemblée ! » Les acclamations l’interrompent ; l’émotion est au comble ; et la séance levée, un grand banquet offert par l’Assemblée à « MM. de Ségur père et fils, » termine, dans une effusion générale, cette inoubliable journée.

Un bas-relief de marbre, exécuté par ordre de Napoléon, reproduisit, cette scène et décora longtemps l’un des murs du Palais-Bourbon. A vingt années de là, pendant les derniers mois de la Restauration, Philippe, élu le matin même à l’Académie française, était chez le comte de Lobau, son ami, qui demeurait rue de Bourgogne, en face dudit palais. Son attention fut attirée par une équipe d’ouvriers de la ville, qui, au haut d’un échafaudage, brisaient, à grands coups de maillet, des sculptures jugées séditieuses par le gouvernement royal ; et il vit voler en éclats la tête de son père et la sienne.


Unis aux jours prospères, le comte de Ségur et son fils ne séparèrent pas leur fortune à l’heure des catastrophes. L’année 1814 les vit combattant tous les deux pour la défense du sol français contre l’invasion étrangère, l’un colonel des Gardes d’honneur, l’autre chargé, avec le titre de « commissaire extraordinaire, » d’organiser la résistance dans la Bourgogne et dans la Franche-Comté. Le sénateur grand maître des cérémonies, lorsque lui échut cette besogne, se ressouvint de son premier métier, quand il servait sous les drapeaux du Roi. Ses lettres pendant cette mission, conservées de nos jours dans les archives de la famille, montrent l’ardeur et le courage qu’il déploya pour réchauffer le zèle de populations épuisées, lassées de gloire et n’aspirant plus qu’au repos. Elles constituent aussi un triste témoignage de la froideur, parfois même de l’hostilité, qui accueillait presque partout cette suprême tentative. Sans doute, en constatant la vanité de ses efforts, se rappela-t-il le jour où, dans l’intimité d’une causerie familière, Napoléon l’avait ainsi