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voulut, en personne, rassurer sa famille : « Monsieur de Ségur, écrivait-il[1], votre fils a été fait prisonnier par les Cosaques. Il en a tué deux de sa main avant de se rendre, et il n’a été que très légèrement blessé. Je l’ai fait réclamer sur-le-champ, mais ces messieurs l’ont fait partir pour Saint-Pétersbourg, où il aura le plaisir de faire sa cour à l’Empereur. Il vous sera facile de faire comprendre à Mme de Ségur que cet événement n’a rien de désagréable et ne doit l’alarmer en rien. Sur ce... »

Deux ans plus tard, un nouvel accident de guerre fut l’occasion d’une scène qui demeura, pour le père et le fils, l’un des plus beaux, l’un des plus émouvans souvenirs de toute leur existence. Percé de coups, criblé de balles, dans la charge héroïque qu’il dirigea sur la redoute de Sommo-Sierra, Philippe, échappé par miracle à la mort, eut ordre de l’Empereur d’apporter à Paris, pour les remettre au Corps législatif, les nombreux étendards conquis au cours de cette campagne. Couché dans une berline, sur un lit de drapeaux, l’aide de camp de Napoléon fit, en janvier 1809, son entrée dans la capitale. Ses graves blessures le retinrent au lit si longtemps que ce fut seulement l’an d’après, le 22 janvier 1810, qu’il fut assez remis pour s’acquitter de sa glorieuse mission. Fontanes présidait la séance, mais, par injonction de l’Empereur, le comte de Ségur fut désigné pour prendre la parole au nom du gouvernement. Le Moniteur nous a conservé le récit de cette solennité, dont la pompe un peu théâtrale, selon le goût du temps, n’exclut ni la grandeur, ni le côté touchant. Dès que la séance est ouverte, Ségur paraît à la tribune ; il annonce l’arrivée « d’un jeune officier, » qui va être introduit dans l’enceinte législative pour présenter, de la part de l’Empereur, les 80 drapeaux « pris en Espagne par ses armées victorieuses. » Après quelques phrases éloquentes, il termine en disant, d’un accent attendri, qu’il ne veut pas, « en prolongeant ce discours, retarder une solennité dont il est également pressé de jouir, comme soldat, comme magistrat, et comme père. » Une clameur enthousiaste salue cette péroraison. Aux accens d’une « musique guerrière, » douze députés introduisent alors dans la salle les grenadiers porteurs des faisceaux d’étendards, en tête desquels s’avance, dit le compte rendu officiel, « M. l’adjudant-commandant comte de Ségur fils, » qui se dirige vers

  1. Lettre du 31 décembre 1806, dont l’original a été légué par le général de Ségur aux Archives nationales.