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et d’esprit ; il ne s’agirait que de bien diriger tout cela. Occupez-vous-en avec adresse... Voilà un de ces hommes qu’il faut avoir ; les moyens, je les ignore. » La Marck, de son côté, indique à Mirabeau un plan de séduction pour s’acquérir l’appui de l’ex-ambassadeur, car « une fois engagé, dit-il, il sera scrupuleusement fidèle. » La suite de cette correspondance nous montre ces conseils religieusement suivis. Entre Ségur et Mirabeau, ce sont de constantes entrevues et des dîners en tête à tête, où l’illustre orateur déploie toutes les ressources et toutes les grâces de son esprit ; ce sont aussi des notes confidentielles que Mirabeau fait remettre à la Reine, en sachant qu’elles passeront sous les yeux de Ségur, et où il le couvre de fleurs : « Ségur a l’habitude de négocier, l’esprit juste, le cœur inflammable, le caractère très chevaleresque, et porte, je crois, à un haut degré, le dévouement au Roi et à la Reine. Il leur tient compte, non seulement de leurs bontés, mais, chose rare, de leurs malheurs, sentiment qui n’appartient qu’à une âme noble et à un caractère élevé[1]. »

Trop rompu à la politique pour attacher grande importance à ces flatteries intéressées, Ségur ne s’en prêtait pas moins à des essais de rapprochement qui, pour produire des fruits utiles, eussent exigé chez les divers partis une bonne volonté plus sincère. L’incident qui s’éleva au mois d’octobre de cette même année est instructif à cet égard. L’effort principal de Ségur tendait alors à amener une entente entre Mirabeau et Lafayette ; le génie oratoire de l’un, la popularité de l’autre, eussent pu en s’unissant dominer, pensait-il, l’Assemblée nationale et favoriser le retour aux idées de modération. Après de longues difficultés, un accord secret fut conclu, dont on ignore les bases ; mais Lafayette, d’après ce qu’on peut soupçonner, ne tint pas ses premières promesses, et Mirabeau exaspéré se vengea en maltraitant fort, dans un discours à l’Assemblée, le « héros des Deux Mondes. » D’où une discussion assez aigre entre Ségur et Mirabeau, dont on jugera le ton par ces quelques extraits ; c’est Ségur qui prend l’offensive : « Je ne parlerai pas à M. de Mirabeaii de son discours, écrit-il. Il doit parfaitement savoir s’il a rempli ses engagemens. Il ne peut pas ignorer l’impression qu’il a pu me faire, et il doit concevoir que j’aie lu avec étonnement le mot de modération dans son billet... Comme ses écrits ne sont

  1. Note de Mirabeau pour la Cour du 26 juin 1790. Correspondance de Mirabeau, etc.