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témoignant une grande confiance, remployant comme intermédiaire dans les conflits, assez fréquens, qui éclataient entre elle et le maréchal de Ségur, dont l’humeur un peu rude se pliait mal aux fantaisies de la souveraine et de son entourage. Comme le dit justement Sainte-Beuve[1], le retour d’Amérique marque pour Louis-Philippe « l’entrée dans la vie déjà sérieuse et dans la seconde jeunesse. Jusqu’alors, il n’avait fait qu’entremêler aux agrémens les camps et la Cour, cultiver la littérature légère et arborer les goûts de son âge ; » maintenant, avec l’ambition, s’éveillent en lui le courage du travail et le désir d’apprendre. Il s’associe à la lourde besogne que l’administration de la Guerre impose au maréchal, il dépouille, pour les lui soumettre, les innombrables plans de réformes dont des novateurs échauffés encombrent, sans trêve ni répit, le bureau du ministre. Et ce labeur ne fait point tort aux occupations littéraires. Je n’entends pas seulement par là les chansons, les quatrains, les madrigaux, les épigrammes, toute cette poésie facile qui semblait couler de sa plume et qui, presque dès le collège, attirait au précoce rimeur une réputation de salons. Sans délaisser ces amusemens, il s’essaie à présent en des genres moins frivoles, contes moraux, éloges historiques, comédies en prose ou en vers. Ces productions, soumises à la censure des grands critiques du temps, lui valaient les encouragemens de Suard, de Delille, de La Harpe. L’un des plus beaux jours de sa vie fut celui où il lut ces lignes de d’Alembert, auquel Chastellux avait montré quelques morceaux de son jeune parent : « L’auteur mérite que tous les honnêtes gens l’aiment, l’estiment et s’intéressent à lui. Quelle distance de lui à presque tous les jeunes gens de son état ! Je l’aime et le respecte sans le connaître ; et grâce au sentiment de vertu dont il me paraît pénétré, je crois n’avoir pas besoin de faire pour lui la prière de Cicéron pour César dans Rome sauvée :


Dieux, ne corrompez pas cette âme généreuse ! »


II

Cette existence agréable et remplie contentait pleinement tous ses vœux. Aussi fut-ce avec plus de surprise que de joie

  1. Notice de Sainte-Beuve sur le comte de Ségur.