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jusqu’à l’un des élémens essentiels de l’art de Sébastien Bach, et de l’art allemand, le choral, qui ne remonte au-delà de la Réforme, qui, par l’origine au moins, ne soit à nous, et c’est nous, catholiques, que j’entends. On ne saurait trop rappeler à ce sujet quelques lignes de M. Schweitzer, le biographe et le critique de Bach cité précédemment : « Le choral ne met pas seulement Bach en possession des trésors de la poésie et de la musique protestante, mais encore il lui livre les richesses du moyen âge et de la musique sacrée latine, dont lui-même est issu. Par le choral, sa musique étend ses racines jusqu’au XIIe siècle et se trouve ainsi en contact vivifiant avec un grand passé. »

Je préfère ce point de vue. Il permet à qui s’y place d’embrasser un horizon plus étendu. De ces hauteurs, le génie de Bach encore une fois apparaît plus vaste et véritablement, — le terme de catholique n’a pas d’autre sens, — universel. Aussi bien, on peut se demander s’il existe en réalité des arts protestans. Brunetière l’accordait, et même il ajoutait qu’ils sont naturalistes. Peut-être. Mais, pourrait-on répondre, s’il y a des arts en effet, comme la peinture hollandaise ou le roman anglais, qui confirment cette assertion, il semble bien que la musique, et même celle du plus grand musicien protestant, y contredise. Signe sonore de la Réforme, le choral, nous venons de le voir, n’en est cependant qu’un signe de convention, ou d’emprunt, et par conséquent, n’ayant rien d’exclusif ni de nécessaire. Au fond, la musique est religieuse ou non, mais elle n’est pas confessionnelle. La parole est sujette à l’hérésie, non la voix. En vain Bach n’était pas des nôtres ; son génie, plus large que sa croyance, est à nous autant qu’à ses frères. Dans la Messe en si mineur et même, en dépit des chorals, dans les cantates ou dans les oratorios, rien n’est séparé. L’art, plus heureux que la foi, n’a souffert aucune déchirure.

A cela près, — et cela n’est pas grand’chose, — on a l’impression, quand on ferme le livre de. M. Pirro, d’achever un maître livre. L’auteur a senti vivement la difficulté de la tâche complexe et comme partagée, artistique et littéraire à la fois, qu’est la critique musicale. Après avoir analysé dans le détail ce qu’il appelle ou « le vocabulaire de Bach, » ou « les signes de son langage, » ou « le lexique de sa poésie, » il croit s’accuser ou s’excuser ainsi de cette analyse même : « A le considérer en artiste, le travail que nous avons fait jusqu’à présenta quelque chose de