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musique de Bach a réalisé, sous des aspects variés, la représentation de l’eau. Il rappelle, en d’autres genres, d’agréables ou magnifiques tableaux sonores : la symphonie qui précède la seconde partie de l’Oratorio de Noël et surtout, à la fin de la Passion selon saint Matthieu, la sublime invocation à « l’heure du soir... où l’alliance avec Dieu fut conclue. » En de telles pages enfin, le critique a bien montré l’union de la nature et de l’humanité, du spectacle et du sentiment, autrement dit, l’accomplissement d’un mot fameux, presque trop fameux pour qu’on ose le citer encore : « Un paysage est un état d’âme. »

N’importe, on peut estimer que déjà dans l’ordre pittoresque, l’écrivain accorde trop d’influence au réformateur sur le musicien. Il va plus loin encore dans l’ordre religieux. Selon lui, l’œlvre de Bach, j’entends son œuvre sacré, ne serait qu’une traduction esthétique et comme une transposition sonore de celle de Luther. M. Pirro ne craint pas d’écrire ceci : « Bach est le grand prédicateur musical de la doctrine de Luther. Nul compositeur, mieux que lui, ne traduit les enseignemens du Réformateur. Nul n’éprouve les drames de la conscience avec le même trouble et nul ne les expose avec la même force. Dans les œuvres du cantor de Leipzig revivent tous les personnages de la tragédie intérieure que le fondateur du protestantisme a suscitée chez ses disciples. »

Pour le coup, cela est trop dire. Ou plutôt, c’est trop dire de l’un de ces deux hommes, Luther, et, de l’autre, ce n’est pas dire assez. Gardons-nous de donner à croire que Luther ait en quelque sorte créé ce que Renan eût appelé la catégorie de l’idéal religieux. Luther n’a pas suscité le premier chez le croyant les « tragédies intérieures, » et, pour être le théâtre des « drames de la conscience, » l’âme chrétienne en vérité ne l’avait point attendu. De ces drames et de ces tragédies, de ces conflits et de ces combats, en un mot, de tout l’élément pathétique que comporte l’ordre de la foi, si Jean-Sébastien Bach, — et nous le croirions volontiers, — a été le musicien par excellence, c’est parce qu’il a été le « prédicateur musical » d’une doctrine à la fois antérieure et supérieure à celle de Luther, qui l’a précédée et qui la dépasse. « Il faut, disait Frédéric Nietzsche, méditerraniser la musique, » et sans doute il disait trop. On dirait avec plus de raison qu’il ne faut pas la protestantiser. Non, pas même celle de Bach, sous peine de la rabaisser et de la réduire. Il n’y a pas