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dans la perfection de l’objet aimé, » on distingue d’autre part, dans la fusion des thèmes, un commentaire symbolique de cette proposition de Johann Arndt, dont Bach possédait le livre : Vom wahren Christenthum : « La première propriété de l’amour est d’unir l’amant avec la chose aimée et de le changer en elle-même. »

Quant à l’amour humain, — je ne parle que du plus innocent et du plus légitime, — Bach, ayant eu deux femmes et vingt et un enfans, ne l’a probablement pas tout à fait ignoré. Et même il paraît l’avoir éprouvé avec une noblesse, une profondeur dont M. Pirro nous rapporte un émouvant témoignage. De même que les vieux peintres allemands se plaisent à mélanger les représentations de l’amour et celles de la mort, ainsi, dans le livre de musique d’Anna Magdalena, sa seconde femme, Bach évoque les deux images ensemble, augustes, sereines, et comme transfigurées. « Ah ! que ma fin serait heureuse, si tes chères mains me fermaient les yeux, ces yeux qui te furent toujours fidèles. » Et le critique d’ajouter, avec beaucoup de justesse : « Par l’interprétation qu’il donne à ces paroles, Bach témoigne d’une sentimentalité noble, dont les accens contenus ont déjà cette simplicité pénétrante qui donne tant de force à certains lieder du XIXe siècle. »

« Par l’idée cependant il tient au passé : non loin de ce chant de l’amour consolateur de la mort, se trouvent, — marques singulières d’une tendresse vraiment chrétienne, — une chanson où notre vie est comparée à la plus fuyante fumée, un air qui nous rappelle et la tombe et le glas, enfin cet incomparable cantique de l’agonie sereine : « Endormez-vous, ô mes yeux éteints. » Seul, un Allemand au cœur plein d’une religion qui prêche là Sehnsucht de la vie inconnue, pouvait offrir de tels présens à la femme aimée. »

C’est là peut-être faire un peu trop d’honneur, ou du moins un honneur un peu trop exclusif au génie allemand, et plus spécialement au génie religieux de l’Allemagne. De même pour le monde extérieur, pour la nature, il semble parfois que M. Pirro prétende en réserver à l’âme germanique, et à l’âme de la Réforme, l’intelligence et l’interprétation. Le critique assurément a compris et loué comme il faut les descriptions musicales de Bach. Après M. Schweitzer, que nous citions plus haut, il a signalé en particulier de nombreux paysages, ingénieux ou grandioses, où la