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plus que de divin, n’était étranger, il fit une place à je ne sais quelle jovialité robuste et, sinon à la farce, du moins à la malice, à la caricature et à la parodie. Plus d’une de ses œuvres en porte témoignage : la Cantate en burlesque, la Cantate du Café, et celle-là surtout, plus curieuse encore par un caractère singulier d’allusion critique et de défense personnelle, qu’on nomme le Défi de Phœbus et de Pan.

Si la vis comica de Bach est peu connue, on a souvent aussi douté de sa tendresse. M. Pirro vous dira cependant, et, l’ayant lu, vous l’en croirez, que le vieux maître n’a pas interdit à son génie, pathétique en tout genre, « les représentations de l’amour. » Mais de quel amour et quelles représentations ? Les plus chastes assurément, et du plus pur. D’abord et surtout l’amour divin, que trahit, dans les cantates d’église, plus d’un mystique dialogue entre l’âme et Jésus. Il y en a, de ces duos, qui peuvent bien nous sembler un peu maniérés et fleuris. La faute alors en est principalement au poète, plus coupable que le musicien de ces gentillesses et de ces fioritures. Mais le plus souvent la musique triomphe de la poésie. Sous les dehors affectés elle découvre, elle saisit le sentiment sincère et l’émotion intérieure ; elle l’en dégage, l’en délivre et nous apporte alors « l’écho de cette profonde tendresse allemande que le jargon à la mode avait travestie. » Ainsi, comme disait, dès le moyen âge, l’abbesse Hildegarde de Saint-Ruprecht, « ainsi la parole désigne le corps, mais la symphonie manifeste l’esprit[1]. » Avec beaucoup de finesse, M. Pirro sait reconnaître en certain duo de la cantate : Wachet auf ! une sorte d’allégorie ou de symbolisme d’amour : « Les motifs, clairs et caressans, passent d’une voix à l’autre ; commencés par le soprano, la basse les achève. Le hautbois, qui les annonce et les répète, fait rayonner dans toute la scène une douce lumière. Mais voyez avec quelle simplicité le maître, qui décrit si élégamment, dès le début, la beauté souriante des personnages, nous dit l’harmonie de leurs âmes. Accordés, leurs chants s’assemblent bientôt, après s’être complétés. Si, d’une part, ces mélodies, n’arrivant à leur perfection que grâce à la communauté de sentimens des deux interlocuteurs, se développent comme une glose musicale de la phrase de Leibnitz : « Aimer, c’est être porté à prendre du plaisir

  1. Sic et verbum corpus designat, symphonia, autem spiritum manifestat.