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l’enlever en relief à la manière d’une citation ou d’une sentence, la combinaison des parties ou des voix offre plus de ressources ? possède plus de caractères ou de vertus encore. « D’ingénieuses métaphores » peuvent résulter du contraste entre le chant d’une voix seule et celui de toutes les voix. « Dans la cantate : Brich dem Hungrigen dein Brod, Bach figure, par la réciprocité d’images musicales bien choisies, l’opposition des deux idées exprimées dans cette phrase : « Si tu vois quelqu’un qui est nu, habille-le. » La basse, seule, chante à découvert les premiers mots, comme pour évoquer, par un équivalent musical, l’idée de nudité. Le chœur, au contraire, accompagné du continuo et des instrumens, se déploie en larges draperies, pour convier à l’œuvre de miséricorde désignée par ces paroles : « Habille-le. »

« Ingénieuse » ici, comme dit le critique, plus ingénieux, peut-être un peu trop ingénieux lui-même, la polyphonie de Bach est ailleurs aussi figurative, avec plus de largeur et de simplicité. Par exemple, j’aurais aimé que M. Pirro s’attachât à l’alternance ou à la combinaison, dans les grandes œuvres de Bach, oratorios ou cantates, des soli et des chœurs. Il pouvait, en ce partage symbolique de la prière entre la foule des fidèles et leur chef, ou leur médiateur, ou leur prêtre, étudier une des plus grandioses représentations que réalisa jamais la musique, de l’un des rapports essentiels, éternels aussi, qui constituent l’ordre social et religieux.

Autant que la mélodie, autant que la polyphonie, autant que le chant, l’orchestre de Bach exprime et signifie. « Les procédés de traduction » y restent pareils, peut-être encore avec plus de richesse, plus de variété dans les images. Il n’est pas jusqu’à la basse continue elle-même, où l’on aurait tort de voir seulement une sorte d’esquisse ou de dessin au trait, et qui ne donne à certaines tournures, à certains mouvemens, une importance particulière. En prolongeant une ligne vocale plus bas que la voix ne peut descendre, il arrive qu’elle ajoute aux effets de puissance, de profondeur et de gravité.

Dans cette psychologie de la musique de Bach en général, la psychologie des timbres ne forme pas le chapitre le moins intéressant. Instrumens à cordes ou à vent, de bois ou de cuivre, M. Pirro fait de chacun d’eux ou de quelques-uns, réunis par famille et comme par corporation, des portraits pleins de vie et de vérité. Mais surtout il exalte le pouvoir expressif de l’orchestre