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donc, se demande avec raison M. Pirro, qui ne reconnaîtrait la justesse de ton, la mélancolie monotone, pesante, de certaines vocalises sur le mot Sorgen (soucis) ? La voyelle o, sur laquelle elles flottent ou s’abattent, en facilite il est vrai le sombre épanouissement ; mais elle ne les aurait sûrement pas suscitées si le sens du mot, et sa place dans la phrase, n’avaient permis à Bach d’en faire, plutôt qu’un exercice pour le chanteur, une image dans le chant. »

Encore une fois, c’est tout l’ensemble des relations entre la musique et la parole, que domine, dans l’œuvre de Bach, le principe de l’expression. Il régit, ce principe, jusqu’au moindre détail. Il permet au musicien, et même il peut lui prescrire, soit de répéter un mot, soit de le fortifier ou de l’atténuer par rapport aux autres, et de lui donner plus ou moins de relief, en le faisant chanter par un plus ou moins grand nombre de voix.

Il est vrai que, dans cet ordre, sur ce terrain, commun à la musique et à la parole, une difficulté se présente. Comment, s’est-on demandé, comment concilier chez Bach un tel souci de l’expression, de l’expression particulière et minutieuse, avec l’adaptation, que le maître s’est plus d’une fois permise, de la même musique à des textes différens ? M. Pirro, qui s’attendait à l’objection, n’en paraît pas atteint. Pour un certain nombre de cas où Bach échappe difficilement au reproche sinon de contradiction, au moins d’indifférence, le critique en trouve bien d’autres, et beaucoup plus fréquens, où l’identité de la musique sur des paroles diverses peut se justifier. C’est, la plupart du temps, que cette diversité même n’est que relative, ou superficielle, et n’altère pas au fond la similitude, au moins l’analogie, des idées et des sentimens.

Que si maintenant, laissant les rapports entre la musique et la parole, nous revenons à la musique seule, nous y découvrirons encore d’autres élémens et des modes nouveaux de l’expression. Aussi bien que dans un motif isolé, Bach a cherché celle-ci dans la combinaison des motifs. Sa polyphonie autant que sa monodie est représentative. Elle excelle à composer des groupes harmonieux, des systèmes complexes où les pensées, les passions, tantôt s’accordent et tantôt se contrarient. Si l’unisson, par exemple, a son éthos, ou plutôt ses éthos divers ; s’il est naturellement signe ou symbole d’unanimité ; s’il convient, en d’autres cas, pour accentuer un fragment de texte, pour le détacher et