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d’interprétation. » M. Pirro, d’un bout à l’autre de son livre, ne fait pas autre chose. Il remplit tout le dessein qu’il s’est proposé. Devant lui, devant nous, cette richesse augmente, et le nombre de ces métaphores se multiplie à l’infini. Nous les découvrons en chaque ordre, en chaque élément de la musique de Bach. Tout y prend une figure, tout y fait littéralement image. C’était, nous venons de le voir, la direction, ou la formation, ou le rythme des mélodies. C’en est à présent la simultanéité ; c’est aussi l’orchestration ; enfin, c’est la catégorie ou le genre (air, arioso, récitatif, choral, fugue) de la composition elle-même.

Il n’est pas une de ces formes diverses dont une critique ingénieuse autant que solide ne définisse en quelque sorte la valeur de représentation, dont elle n’établisse le rapport et comme la convenance avec tel ou tel ordre de la pensée ou du sentiment, avec le caractère de telle situation, de tel personnage ou de tel discours. Ici, par exemple, un récitatif est analysé jusque dans le détail, et dans le détail expressif, de la mélopée et de la déclamation. On rencontre ailleurs ce qu’on pourrait appeler une véritable psychologie de cet organisme symétrique, italien d’origine et de nom, l’aria. Fût-ce dans les figures et je dirais presque dans les systèmes sonores les plus abstraits en apparence, dans ceux où la sensibilité semble avoir le moins de part, nous la voyons cependant agir. Une âme, une âme véritable anime la fugue, le canon. De la contrainte même qui s’impose aux formes de ce genre, Bach arrive à tirer des idées, voire des images : entre autres, celles de la dépendance et de la sujétion, de la discipline et de la rigueur. La répétition canonique d’un motif invariable évoquera la vision, fût-ce matérielle, de marches ou d’« entrées » successives et pareilles. La fugue enfin saura parler à l’imagination. Les promesses du Sauveur, qu’une fugue accompagne, y trouveront un surcroît de fermeté, de certitude, avec le gage ou le symbole de leur accomplissement à venir. C’est que Bach se sert de la fugue « non comme d’une forme abstraite, inventée pour la seule musique, mais comme d’une forme vivante, d’un langage plus sévèrement écrit, d’où le mécanisme du style n’a pas banni les pensées. Les fugues de Bach sont en effet riches de pensées et de sentimens... Il cherche d’abord, dans le sujet, à traduire le sens profond des mots qui lui sont présentés. Et l’ampleur même de la forme qu’il traite