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Par exemple, au début de la cantate : Sehet, wir geh’n hinauf gen Jerusalem, une gamme ascendante figure la montée vers la ville. Mais viennent les mois : O rude voyage ! aussitôt Bach abandonne l’imitation matérielle pour la représentation, toute morale, de la douleur où se plonge l’âme chrétienne au souvenir du supplice de son Dieu. Que dans le choral : Nun komm, der Heiden Heiland, la poésie invoque le Sauveur des gentils, la musique, en même temps que l’avènement du Christ, évoquera sa mort et, par une anticipation pathétique, déformant une note, une seule, de la mélodie, au pied même de la crèche elle dressera la croix.

Le rythme est encore pour Bach un incomparable agent d’expression. Il l’est d’autant plus, que son action s’exerce dans le domaine propre et comme réservé de la musique, le temps. Nous touchions ce point tout à l’heure et M. Pirro n’a pas manqué d’y insister. « De toutes les allusions offertes aux compositeurs qui cherchent à traduire dans le langage de la musique des idées exprimées par des mots, les allusions au concept de la durée sont les plus légitimes, en ce sens du moins qu’elles sont les plus justes. Elles se rapportent en effet à une propriété certaine de la musique, art soumis au temps et modérateur du mouvement. »

Hans de Bülow, je crois, a dit cette forte parole : « Au commencement était le rythme. » Le rythme n’est pas seulement à l’origine, il est partout, et nous n’avons peut-être pas, en musique, de témoin plus fidèle et de plus sûr interprète. Il parle également le langage le plus simple et le plus subtil. A toute la puissance il unit toute la finesse et toute la variété. M. Pirro consacre un des chapitres les plus nourris de son ouvrage à la psychologie du rythme chez Bach. Entre les sons prolongés et les idées de continuité, de persistance, entre les choses et les notes qui durent, entre le sommeil de l’âme, par exemple, et le long assoupissement de la voix, il excelle à saisir des rapports originaux et délicats. Il nous montre le rythme pointé (une note plus longue suivie d’une plus brève) assigné volontiers à l’expression de la grandeur et de la puissance, à l’évocation d’une marche solennelle ou d’un pompeux cortège. On pourrait ajouter que, sur ce point particulier, des maîtres plus récens, et des maîtres du théâtre, ont suivi l’exemple du vieux maître sacré. Le Meyerbeer des Huguenots (prélude de la Bénédiction des poignards, et de