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et juste application. Qu’est-ce en effet, au dehors du moins, que l’action de Lohengrin, sinon la venue, à l’appel et au secours de l’innocence, d’un sauveur descendu de hauteurs mystérieuses et qui finit par y remonter ? Or le thème, le thème unique de l’introduction, ne fait lui-même que reproduire ce double mouvement. Exposé par les violons à l’aigu, sur les sommets de l’orchestre, il en descend d’abord ; puis, par une marche inverse, il y retourne et s’y évanouit. Ainsi le drame et le héros trouvent également et d’avance dans la préface de l’opéra leur figure et comme leur graphique sonore.

Nous parlions tout à l’heure de mouvement. C’est bien du mouvement en effet, et c’est de l’étendue aussi, que la musique en pareil cas nous donne l’impression. Elle qui, par sa nature, n’existe et n’agit que dans le temps, il semble alors qu’elle opère, qu’elle se développe dans l’espace. Elle entre avec les choses dans un rapport nouveau, mais logique, nécessaire, et sans doute éternel, puisque, de Bach à Wagner, nous voyons que les plus grands musiciens font exprimé.

Bach a bien d’autres moyens (et M. Pirro les examine tous) de manifester « les subtiles rencontres des sons et des pensées. » Il y réussit, autant que par la direction, par la formation des motifs musicaux. Suivant le sentiment à traduire, il forme les uns de notes voisines et consonantes, de notes qui se cherchent et qui s’aiment ; au contraire, il donne à d’autres un caractère de rudesse et d’âpreté, les composant de notes éloignées, sans rapports et sans réciproques attraits. Tantôt il fait se suivre et se répondre les sons, tantôt il les force à se heurter et à se contredire. Quelquefois il les multiplie et les prodigue ; souvent il les épargne, à ce point même que, pour exprimer l’idée de certitude et de constance, il lui suffit de répéter une note unique avec obstination. Distinction des deux modes (le majeur et le mineur) ; altération des intervalles ; opposition du diatonisme et du chromatisme (celui-ci réservé pour ainsi dire à la douleur, à la plainte, aux gémissemens et aux sanglots), il n’y a pas un de ces élémens de la musique, ou seulement de la mélodie, où le génie de Bach ne trouve un signe psychologique, une révélation du sentiment, de la pensée, en un mot, de la vie. Entre la direction et la forme du thème, faut-il choisir, c’est à la forme que le musicien donne la préférence. En cas de rencontre, ou de conflit, il sacrifie invariablement le pittoresque à la sensibilité.