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beaucoup attendre. Pendant près de trois quarts de siècle, l’Algérie aura considérablement pesé sur les budgets métropolitains, et l’on vient de voir qu’elle pèse encore sur eux dans une certaine mesure. D’après un tableau publié par la Statistique générale de l’Algérie pour les années 1884-1887 (pages 73 et suivantes), le total des dépenses, y compris celle de l’armée, effectuées pour l’Algérie de 1830 à 1887 inclusivement, se serait élevé à 4 868 millions de francs, et le total des recettes algériennes à 1 207 millions, d’où un découvert de 3 660 millions, représentant le coût de l’Algérie en 1887 ; les vingt dernières années écoulées y ont facilement ajouté 80 millions par an, soit 1 600 millions, de sorte que le prix de revient actuel de l’Algérie dépasserait 5 milliards. On peut, sans doute, faire à ce calcul quelques objections : alléguer, par exemple, que la France aurait dû entretenir sur son territoire une notable partie, mettons la moitié, de l’armée algérienne ; cette considération permet de réduire à 4 milliards environ le prix de revient de l’Algérie.

Il n’y a pas à regretter ces 4 milliards ; c’est une semence qui, avec le temps, sera largement reproductive. La France du règne de Louis-Philippe et même de Napoléon III, ayant sur le continent une situation qui paraissait à l’abri de toute atteinte, n’étant grevée que d’une dette modique, ne se trouvant pas engagée dans de larges dépenses sociales, possédant avec le service de sept ans une armée dont tous les élémens étaient cohérens, persistans et toujours mobilisables, pouvait, sans grand péril et sans témérité, entreprendre et conduire à bonne fin en pays barbare une guerre de dix-sept ans, et assumer une charge de 4 à 5 milliards ; c’était le temps où se prononçait ce mot épique que « la France est assez riche pour payer sa gloire. » Il faut bien reconnaître aujourd’hui que les situations sont changées, qu’un effort militaire et financier, aussi intense et aussi prolongé, nous serait interdit par notre situation politique, sociale et économique.


II

On n’a pas eu besoin de faire ce grand effort pour occuper et exploiter la Tunisie. L’expédition fut facile ; elle avait été préparée par la construction, de la frontière algérienne à Tunis, du chemin de fer dit de la Medjerda ; elle fut encouragée par la