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donner une prise au conducteur, traînent les préhistoriques charrues de bois. De temps en temps, passe une femme, le visage dissimulé sous un manteau de toile. Quant aux enfans, dépourvus de vêtemens pour la plupart, ils pataugent dans la boue. Plus je m’écarte de la ville, et plus tout ce monde rustique s’affirme. Dans les montagnes, la vie coréenne subsiste, intégrale. Puisse la blanche Corée ne sacrifier que tard son pittoresque aux neutralisantes influences de la banalité cosmopolitaine !


II. — DE FUSAN À SÉOUL EN CHEMIN DE FER


Je gagne la capitale par une journée glorieuse où s’exprime toute la vigueur de l’été. Pris le matin à Fusan, le train me déposera le soir même à Séoul. Le fait me semble si invraisemblable que je n’en puis croire mon indicateur. Voilà donc la forme moderne de cette expédition de dix jours, jadis traversée de tant d’obstacles et d’épreuves !

Les voyageurs, en attendant que la section terminus soit construite, prennent le train à Fukian. Ils sont nombreux. Japonais pour la plupart, entremêlés d’un ou de deux Coréens. Partout ce ne sont qu’employés nippons. Seul le langage japonais frappe l’oreille. La ligne, d’intérêt tout stratégique, est du reste propriété japonaise. Importés des États-Unis, les locomotives et les wagons ont été rapprochés, disait-on, de la taille d’une population plus lilliputienne, habituée à s’accroupir sur les banquettes, à l’orientale. Quelques traits particuliers distinguent les gares, par exemple, ces lavabos communs où, mettant à profit la moindre minute d’arrêt, hommes et femmes se débarbouillent pêle-mêle. Les vendeurs de dîners en boîte, — riz et poissons crus, — vont de-ci de-là, emplissant de thé les tasses des voyageurs. Une multitude de minuscules employés habillés de noir, — en Europe, le personnel d’un train de luxe est bien plus réduit, — accompagnent le moindre convoi à titre de contrôleurs, conducteurs, etc. Tel est l’avantage des pays nouveaux. Le bon marché de la main-d’œuvre permet de partager entre trois hommes les fonctions qu’un seul Américain ou Européen cumulerait ; cet avantage éclatera sur les champs de bataille de l’industrie et du commerce.

Mais soudain, une grande hâte se produit dans la foule des voyageurs, tandis que montent les appels et les cris. D’innom-