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Concurremment aux Dombet et à vingt autres, Charton prend son rang là-bas. Il loue une maison sur la place Saint-Pierre, moyennant 10 florins, ce qui semble un prix fait à Avignon ; puis il s’installera rue de la Saunerie. De celui-là nous pouvons parler avec plus de hardiesse, car deux de ses œuvres sont connues, et on n’est pas loin de lui en attribuer une troisième. C’est un maître que les plus avisés critiques ont pris pour un des grands Flamands. Son œuvre principale, le Triomphe de la Vierge ou la Sainte Cité, est au Musée de Villeneuve-les-Avignon ; une autre, d’abord baptisée Fra Angelico, puis « travail néerlandais, » est au Musée Condé à Chantilly ; la troisième serait ce retable de Bourbon que l’Exposition des Primitifs français a pu faire entrer au Musée du Louvre, et qui est l’un des morceaux les plus nobles sortis de l’École d’Avignon. Eh bien ! ce Charton est un très modeste ouvrier ; il n’a aucun train. On lui a connu deux aides ; l’un, son élève, Jean de la Cort, vient de Strasbourg, et reçoit 5 florins l’an, c’est-à-dire environ 300 francs de notre monnaie. L’autre, Pierre Villate, originaire de Limoges et qui a collaboré au tableau de Chantilly, continuera sa tradition et deviendra l’un des peintres les plus réputés du groupement avignonnais.

En dépit de leur mérite, ces hommes ne s’imposaient pas aux cliens. On les liait par des actes précis où l’on commandait des fonds d’or, des couleurs de qualité exceptionnelle. On leur fixait un dédit pour le cas où ils n’auraient pas terminé leur tableau à l’heure dite. Pour un travail d’un an, le Triomphe de la Vierge, Charton reçoit en diverses fois 120 florins, à peu près 4 000 francs d’aujourd’hui. Avec cette somme, le peintre payait sa maison, son ouvrier, nourrissait sa famille, s’habillait et mettait de côté quelque argent. De 1447 à 1461, nous comptons à son actif environ 300 florins, soit de cinq à six mille francs de gain reconnu, mais il avait dû faire mieux. Les van Eyck touchaient-ils beaucoup plus ? Lors du fameux Repas du Faisan à Lille, où les plus illustres peintres du Nord avaient été appelés transitoirement, en 1454, Jean de Bordeaux recevait 24 sous par jour, et Simon Mannion 12 sous. Ces honoraires, sans durée, ne représentaient pas, à l’année, une somme supérieure aux 120 florins payés par Jean de Montagna, pour le Triomphe de la Vierge, exécuté un an auparavant dans l’atelier de Charton.

Les légendes entretenues pas les historiens d’art sur la suprématie