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L’histoire des deux frères a été amplifiée dans le sens favorable. On a voulu voir dans la façon dont le Duc de Bourgogne traitait Jean, le dernier survivant, une preuve des progrès sociaux réalisés par un homme de génie, qui avait imposé son immense valeur. Le Duc n’avait-il pas été parrain de son enfant en 1434 ? Ne l’avait-il pas choisi pour accompagner l’ambassadeur Jean de Roubaix en Portugal ? J’avoue ne pas faire une grande différence entre ces bienveillances officielles et celles du roi Charles V à l’égard de Jean d’Orléans, plus de soixante-dix ans auparavant. En effet, dès 1367, Charles V donne à son ami peintre Jean d’Orléans une maison à Paris à l’enseigne du Cygne ; il lui alloue par an plus de deux cents livres de gages fixes, et l’attache à sa maison ; bien mieux, il le loge au Louvre, et cette hospitalité sera continuée à François d’Orléans, fils de l’artiste, qui aura sa survivance. Donc, socialement parlant, Jean van Eyck ne sera point un novateur. Il en est, en 1434, au point précis où Jean d’Orléans se trouvait à la mort du roi Jean le Bon. Mais au temps de van Eyck, les Parisiens ont tout perdu de leur prestige. La Cour française s’est transportée en province, assez occupée d’autres soins pour ne pas accorder aux arts toutes les révérences dues. A Bourges, où le souvenir du Duc de Berry s’est conservé, et où vivent encore de ses ouvriers d’élite, la tradition esthétique s’est assez bien maintenue pour qu’un Jean Fouquet y puisse rencontrer les élémens d’une éducation complète. L’intransigeance protectrice des ateliers parisiens du XIVe siècle a tout perdu de sa marque ; les débris de la vieille corporation voyagent. On retrouve des Parisiens partout où le métier a chance de nourrir son homme. Et tous les apprentis qui, dans le vieux temps, gagnaient Paris comme la terre promise cherchent, à présent, un établissement ailleurs. C’est ainsi que Tours ou Bourges attirent les élèves nés dans la région, que Moulins réunit les Bourbonnais et les Auvergnats à la Cour du Duc de Bourbon, et que la ville d’Avignon draine les jeunes talens de toute la région du Rhône, des Dombes, du Bugey, de la Franche-Comté même.

On a prétendu un peu témérairement que ces artistes groupés en des endroits divers y apportaient une science acquise dans le Nord, et que la plupart d’entre eux devaient tout à l’influence des van Eyck, au moins par des causes médiates. Rien n’est moins sûr. Nous ne devons pas oublier que le Français