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contre-coups de tous genres. Le vieux Duc de Berry, qui était resté longtemps le plus grand protecteur des arts, avait formé une sorte d’atelier ambulatoire qui le suivait dans ses déplacemens et échappait aux réglementations protectrices des Parisiens. Chez lui se réunissaient des sculpteurs, des enlumineurs, des peintres français ou étrangers, dont la plupart cependant avaient reçu l’enseignement parisien de l’École de Jean d’Orléans. Nous avons vu Jacquemard de Hesdin à Poitiers ; nous le retrouvons à Bourges, à Riom, partout où le vieux Duc prenait séjour. Celui-ci eut chez lui, à Mehun-sur-Yèvre, l’illustre André Beauneveu, de Valenciennes, qui fut plus un sculpteur qu’un peintre ; il eut Jacques Cône ou Coing, sous lequel nous devinons le maître des van Eyck ; et Jacques Cône habitait Paris en 1398 : il y travaillait dans l’officine cosmopolite de Pierre de Vérone, et, pour le compte du Duc de Bourgogne, chez le financier Raponde, Le Duc de Berry forma également les enlumineurs Pol de Limbourg et ses deux frères, qu’on dit être neveux de Jean Malouet de Dijon, peintre Gueldrois, établi et marié en Bourgogne.

Le Duc d’Orléans, frère du roi Charles VI, a, par son mariage avec Valentine de Milan, de constantes relations avec l’Italie ; il n’est point sans influence sur les goûts de son vieil oncle le Duc de Berry. La reine Isabeau de Bavière entretient des rapports avec ses parens, les comtes de Hollande Hainaut, chez qui débuteront les frères van Eyck, et qui ont attiré Jacques Cône, brugeois, ancien ouvrier parisien. Plusieurs artistes français ont gagné l’Italie, d’autres sont allés sur le Rhin, et il y en a à la Cour du Duc Jean sans Peur. La grande dispersion parisienne commence, et de nouveaux centres se forment à Amiens, à Bourges, à Angers, à Lyon, à Avignon surtout. Les historiens d’art, trompés par certains synchronismes, ont cru apercevoir, dans cette formation nouvelle, une preuve de l’influence des frères Van Eyck ; l’opinion est fort controuvée. Il est dès maintenant acquis que les inventions attribuées aux van Eyck étaient connues des Parisiens, notamment de Jacques Cône en 1398, longtemps avant que les deux frères eussent définitivement établi leur réputation. Et quand nous aurons remarqué que le nom de Cône, Coëne, Coing est la traduction française du mot Hoeck ou Eyck, comme La Pastine est celle de van der Weyden, nous comprendrons mieux la légende un peu surfaite des frères van Eyck.