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était un peintre et un peintre estimé, puisqu’on cite des tableaux de lui dans les collections royales, et qu’on le loge dans le Palais du Louvre. En 1355, on l’avait chargé de fournir des patrons à Jean Costé pour la décoration du château de Vaudreuil près Pont-de-l’Arche. Et il ne s’agissait pas seulement d’ornemens, mais d’histoires, de scènes, notamment une Histoire de Jules César. Jean Costé est un bohème, un pauvre homme qui fait des comptes d’apothicaire, et façonne une mauvaise besogne matérielle. Girart d’Orléans la lui fait recommencer ; mais il couvre son confrère, il l’excuse sur sa simplicité, sur les difficultés du lieu, sur la peine qu’il a d’aller de Vaudreuil à Paris chercher ses fournitures. Ainsi Girart est bien le maître de l’œuvre, et il n’aura pas perdu la confiance du Roi, qui l’emmènera en Angleterre pendant sa captivité et le fera travailler de son art.

Un enlumineur parisien, en nous montrant un saint Luc, nous fournit en réalité l’image d’un peintre contemporain de Girart d’Orléans. Ce peintre a son atelier où l’on voit suspendus des panneaux sur fond d’or ; lui-même est assis sur un escabeau devant un pupitre rappelant un chevalet. Il tient de la main gauche une palette, en forme de planche allongée, avec poignée pour passer les doigts. Les couleurs, achetées à l’épicier voisin, sont contenues dans de petites fioles, rangées devant lui, sur une table.

Le tableau qu’il fait, représente, en valeur marchande, 10 ou 12 livres parisis, 6 ou 700 francs de notre monnaie. Mais ce n’est pas à beaucoup près ce que vaudront les œuvres d’un Jean d’Orléans ou d’un Colart de Laon sous Charles V et sous Charles VI. Alors les grands amateurs seront nés. Les Ducs de Bourgogne, de Berry ou d’Anjou, frères du roi Charles V, auront contribué à hausser encore le niveau. Lorsque le Duc de Bourgogne,, — qui cependant n’a qu’à vouloir pour trouver dans les Flandres des artistes illustres, — souhaite une peinture précieuse et rare, il la demande au parisien Jehan d’Orléans. Cet artiste, dont nous ignorions le nom, dont nous ne savions rien naguère, reçoit du prince pour un triptyque une somme équivalente à près de 20 000 francs d’aujourd’hui. Son atelier de la rue Mauconseil est le rendez-vous des plus grands personnages, le Roi le nomme son ami peintre, et lorsque le Duc de Berry va le visiter, il laisse 4 livres de gratification aux apprentis du maître : c’est ce que le roi saint Louis payait un panneau peint sur bois ! Désormais,