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grave encore que n’était la répression brutale de police ou les sentences terribles du Prévôt. C’est que les maîtres, ne pouvant beaucoup compter sur leur entourage français, favorisaient l’exode de ces jeunes Flamands plus souples, plus soumis, et dédaigneux du vin que l’appât d’un apprentissage à Paris tentait extrêmement. Le célèbre Jean Pépin-d’Huy était un de ces apprentis ; il y en eut beaucoup d’autres, dont la venue chez nous a été interprétée dans un sens de supériorité artistique absolument faux, La plupart de ces gens, une fois leur stage de cinq ou six ans terminé, s’en retournaient au pays natal où ils colportaient les enseignemens français ; c’étaient les moins habiles, ceux qui, ne se sentant point la force de lutter chez nous, ne sollicitaient point la naturalisation. Au contraire, un Pépin-d’Huy, un Hennequin de Liège devenaient parisiens et s’élevaient à la maîtrise de leur art. S’ils fussent restés étrangers, aubains, comme on disait, le Roi eût hérité d’eux. Or Pépin et Hennequin de Liège, qui sont dits bourgeois de Paris, disposent entièrement de leur fortune qui est considérable. Jamais un artiste flamand, formé en Flandre, et ayant fait partie d’une ghilde là-bas, ne serait venu exercer à Paris ; il eût rencontré trop d’obstacles. On cite parfois Pierre de Bruxelles, venu chez nous sous le règne de Philippe le Bel, et on le donne comme exemple. Mais on oublie de dire que lui-même se proclame bourgeois de Paris, et que, sans aucun doute, il a reçu ses lettres de naturalisation après son apprentissage. De même pour un certain Uri ou Ulrich de Mayence qui, vers 1300, travaille dans les châteaux de Mahaut d’Artois, nièce de saint Louis ; lui aussi est bourgeois de Paris, et il se réclame de ce titre à diverses reprises. Ces constatations, dont je pourrais multiplier les exemples, confirment eu les expliquant les conclusions de M. Raymond Kœchlin au sujet des influences françaises dans la statuaire des Flandres aux XIIIe et XIVe siècles. Il en fut de même pour la peinture, au moins jusqu’au temps des van Eyck.

C’est donc, contrairement à l’opinion commune, le XIIIe siècle qui connut les vrais primitifs de l’art français, imagiers, peintres et enlumineurs, créateurs et surtout laïques, travaillant sans orgueil, sans rien deviner des destinées réservées à leurs descendans. Et ils comptent si peu dans les hiérarchies que le Roi n’en a point d’attitrés, quand, au contraire, il aura des maçons, des architectes, peut-être même des enlumineurs à gages.