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de Paris, rue Saint-Germain, rue aux Ours, que nous voyons l’un d’eux, nommé Nicolas, payer l’impôt d’un très riche bourgeois, — plus de trois cents francs d’à présent, — quand nous les retrouvons, au nombre de vingt au moins, ayant maison à eux, valets, chambrières, nous ne pensons pas encore aux hôtels de l’avenue de Villiers, certes, mais les peintres existent, ils travaillent, ils vivent de leur métier ni plus ni moins bien que leurs confrères d’Italie. Par les miniaturistes, oui leur empruntent leurs scènes et copient leurs sujets, par le peu qui nous reste de leurs travaux légers, nous jugeons qu’ils ne doivent rien à personne, sinon à leurs proches, à la marche générale des talens, à cette concomitance féconde de recherches, de trouvailles, d’émulation qui constituent une école.


I

La condition sociale des peintres-selliers est celle de tous les gens de métier à Paris au XIIIe siècle. Ils ne sont ni plus ni moins élevés dans la hiérarchie que le pelletier ou le chaussetier. Quelques rares exemptions de guet ou de prestations en nature leur peuvent venir du travail qu’ils font, par exemple lorsqu’ils décorent des tabernacles. En l’honneur des saints qu’ils sont chargés de peindre, ils peuvent recevoir autorisation de travailler de nuit et de prendre des valets supplémentaires. Les jurés du métier sont élus parmi les maîtres le plus en renom ; ils ont la police de la corporation, ils veillent à la bonne façon des œuvres, ils les acceptent ou les refusent à leur gré. Cette subordination se poursuivra pendant plus de trois siècles encore, même après 1391, quand Jean d’Orléans, peintre-sellier parisien, aura obtenu que le métier se scinde, et que les peintres ne soient plus tenus à tourner des bâtons de chaise.

Ce qui fait la réelle différence entre le peintre-sellier parisien et ses confrères, je puis même dire ses imitateurs des pays voisins, c’est sa modestie. Il ne demande à aucun chroniqueur de célébrer ses mérites, à Paris pas plus qu’en aucun lieu de France, où il ne se rencontre de poète pour imiter le poète du Nord qui vers 1212 chantait les prouesses des barbouilleurs bolonais, Dante qui célébra Giotto, Pétrarque qui vanta Simone. Si la louange écrite se manifeste parfois, elle est dans ces chroniques d’abbayes qui accordent volontiers au frère peintre ou