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Lors des premières classifications des métiers, avant la rédaction des statuts fournie par Etienne Boileau, aux environs de l’an 1250, le peintre, ou mieux, l’ouvrier du pinceau, tient à trois corporations diverses, les imagiers, les enlumineurs calligraphes, et les selliers. Le peintre imagier est un sculpteur de figures sur pierre, bois, ivoire ; son art de peinture intervient pour donner à la statue taillée par lui un complément alors jugé indispensable. Nos vieux pères, très naïvement, souhaitaient qu’une figure sculptée leur procurât l’illusion de la nature, tant dans la forme que dans les habits. L’enlumineur écrivain et « painturier d’histoires » bariolait les pages de manuscrit, mais empruntait ses sujets aux imagiers ou bien aux selliers. Et ces selliers-peintres, que nous avons voulu ignorer jusqu’ici, qui sont au moins autant ébénistes que peintres, apparaissent en réalité comme les grands ancêtres de toutes les écoles de peinture portative en Europe.

Que fait le sellier ? On a dit des selles de chevaux, ce qui est une sottise. Jamais le sellier ne fabrique de selles. Il tourne des selles à s’asseoir, des faudesteuils, des cassone, des châsses, des tabernacles de bois. Quand le meuble est complet, il le décore, et, pour le décorer, il y applique une toile légère, sur cette toile du plâtre de Paris, sur ce plâtre une feuille d’argent, et sur cet argent de l’or battu. Ce fond général est prêt à recevoir toute décoration à l’huile ou à la détrempe, et c’est alors que le peintre se détache du sellier pour donner à son œuvre sa dernière parure. Entre ce travail et la peinture d’un volet, d’un panneau séparé, l’écart n’est pas grand. Nous voyons dans les miniatures du milieu du XIIIe siècle des représentations de panneaux portatifs suspendus à des murailles. Donc il y en avait, et ils étaient la besogne des selliers.

Ne soyons pas surpris de ces origines un peu vulgaires ; n’oublions pas que les premiers peintres flamands faisaient, au XIVe siècle, cent ans après ceux dont nous parlons, partie de la ghilde des fripiers. Sans doute tous nos peintres selliers ne furent pas des artistes célèbres, des dessinateurs hors de pair. Mais pourquoi certains d’entre eux n’auraient-ils pas valu, en peinture, ce que valaient en architecture un Robert de Luzarches ou un Pierre de Montreuil, un Hugues de Plailly en sculpture, ou un Honoré en miniature ? Lorsque nous les trouvons, dès la fin du règne de saint Louis, groupés dans les quartiers riches