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dont la devise est : « Mort aux drogues, aux médecins... et au diable, » a aussi trouvé moyen de bâtir un temple pour ses dévots et de s’édifier à lui-même une fortune d’une douzaine de millions, qui lui permet de mener grand train et d’entretenir trente domestiques.

Dans l’Utah, les Mormons, bien qu’ils aient perdu leur principal intérêt, depuis que la législation a interdit la polygamie et qu’ils doivent se contenter d’une seule femme, se maintiennent florissans et font même des prosélytes dans les campagnes. Ils ont un apostolat organisé en Europe, j’ignore avec quel succès ; mais le fait est qu’après avoir écouté une heure, à Salt-Lake-City, un Mormon sérieux et convaincu qui vous explique ses dogmes et s’efforce de vous convertir, vous demeurez stupéfait que cette grossière salade de mahométisme, de judaïsme et de christianisme ait pu tenter tant de fanatiques et enrôler de vrais martyrs, et vous voyez clairement qu’elle puise ses racines de vie dans la morale évangélique dont elle est saupoudrée, et dont le mormonisme prétend s’approprier la pure vertu.

C’est la même morale qui fait le fond de la franc-maçonnerie américaine, très différente de la nôtre. Pour être admis à la maîtrise, l’apprenti maçon doit confesser par serment, sur la Bible, sa croyance en Dieu créateur. Et comme beaucoup d’Églises soi-disant protestantes ne croient guère davantage, il en résulte que, dans chaque ville, le temple maçonnique, avec ses dômes dorés et son architecture de chapelle, est le siège d’une religion un peu plus laïque que les autres, mais plus « liturgique » à sa manière que bien d’autres, dont les cérémonies sont exclues et dont les dogmes se sont évaporés.

On est surpris au premier abord de rencontrer un pasteur calviniste, qui porte un crucifix suspendu à son cou par une chaîne de métal, comme nos évêques, et qui, s’entretenant avec vous de la divinité du Christ, vous déclare ingénument « qu’il ne faut pas exagérer la portée du mot « divin ; » que, pour lui, il y a des hommes que l’amour divinise ; » mais, après un certain nombre de colloques de ce genre, on n’est plus surpris de rien du tout. Innombrables sont là-bas les âmes où cohabitent en paix les antinomies les plus discordantes.

Je m’étais laissé dire qu’il y avait à Philadelphie une maison d’éducation où l’athéisme était obligatoire, le Girard-College, dont l’entrée, accessible à tous, n’était refusée qu’aux ministres