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à devenir beaucoup plus Américains : celui de la liberté de conscience. Nous pouvons leur enseigner le goût ; ils peuvent nous apprendre la justice, le respect, par une majorité toute-puissante, des opinions qu’elle ne partage pas.

Les hommes et les choses ont pu changer sur ce sol de l’Union, depuis cent vingt ans ; mais la liberté religieuse y est demeurée la même qu’au jour où elle était promulguée en tête de la Constitution fédérale. Et si vous voulez savoir comment, en ce pays protestant, sont traités les catholiques, non seulement dans leurs personnes mais dans leurs biens, interrogez tel archevêque de la Nouvelle-Angleterre : il vous répondra qu’il possède, au nom de son diocèse, pour 150 millions de francs d’immeubles, mais que ces immeubles ne payent pas un centime d’impôt, parce que ce sont des biens d’Église ; interrogez le supérieur de tel collège religieux, très prospère, dont les bâtimens neufs s’étendent au milieu de jeunes plantations, au pied des Montagnes-Rocheuses : il vous répondra que ces terrains lui ont été donnés par des spéculateurs non catholiques, désireux d’attirer des habitans dans un quartier désert ; mais que son ordre n’est soumis pour ces propriétés à aucune taxe, ni par l’État, ni par la ville, parce que ce sont des établissemens d’enseignement, par là même exempts de droits, qu’ils soient laïques ou confessionnels. Si vous êtes Français, ce langage aura de quoi vous surprendre.

Rentrez en France, interrogez un curé : vous apprendrez de lui qu’il est menacé d’être expulsé de son presbytère, quoique la commune, maîtresse de ce logis, voudrait bien lui en concéder l’usage, ou du moins le lui louer à petit prix. Mais l’Etat s’oppose à ce qu’il soit fait à ce curé par cette commune aucune concession. Ce langage aura de quoi vous surprendre... si vous êtes Américain.

Ce n’est pas que l’Américain soit toujours un homme religieux. Au fait, il est malaisé de connaître sa croyance, et surtout son incroyance. Non pas parce que les feuilles de recensement s’abstiennent de poser à cet égard des questions qui seraient généralement jugées indiscrètes ; mais parce que les citoyens des États-Unis gardent une grande réserve sur leurs sentimens religieux ou antireligieux. En France la libre pensée, aussi impérieuse que l’autorité ancienne, a prétendu passer « dogme » à l’ancienneté ; dès lors, il semble qu’elle est hors de sa voie et