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quelques années. Les livres sont judicieusement choisis et le maniement des catalogues est d’une commodité parfaite. Il y a des salles pour les dames, il y en a pour les enfans, il y en a même pour les aveugles, avec des ouvrages en diverses langues. Ce n’est pas sans surprise, et sans d’autres sentimens aussi, que j’ai vu au Congressional Library de Washington une série de volumes venus du Japon et poinçonnés d’après la méthode Braille, pour la lecture des doigts... en japonais.

Mais, si l’on considère les titres des livres prêtés journellement, on se croira plutôt dans un « cabinet de lecture » que dans une salle de travail. Ce public des deux sexes, où les lectrices dominent, est un public qui vient, non pas s’adonner à une tâche, mais se procurer une distraction ; la galerie la plus fréquentée est celle où l’on « consulte » simplement les magazines illustrés de la quinzaine et les journaux du jour.

Ces journaux sont à l’image de la nation ; énormément de papier, — certains numéros du Herald sont à cent douze pages, — beaucoup de menus faits, très peu d’idées. Les faits sont de l’étoffe la plus mince, jetés pêle-mêle, ou plutôt enfilés dans les colonnes, suivant qu’ils sont sortis des mains du typographe et que le secrétaire de la rédaction les a reçus. Dans ces périodiques géans qui vivent surtout de publicité, les annonces sont classées parfaitement, suivant leur nature, et l’on n’y commettrait pas la faute de placer les chevaux à vendre au milieu des appartemens à louer. Mais discussions du parlement ou accidens de chemins de fer, congrès syndicaux ou rhumes de ténor, toutes ces miettes du jour, de valeur inégale ou même nulle, se suivent et se contre-poussent dans un désordre parfait, avec des titres et sous-titres qui les résument et ont pour but de simplifier la besogne du lecteur de journaux. Et ce lecteur ne songe pas qu’il serait encore plus simple de ne point lire ces choses inexistantes qui lui font perdre son temps.

Cela n’est pas particulier à l’Amérique ; mais tout de même, nos gazettes européennes trahissent d’autres préoccupations de symétrie. A côté des télégrammes laconiques qui n’apprennent rien et ne signifient rien, elles ont des articles écrits dont la substance ou le bon sel peut instruire ou récréer les « honnêtes gens. »

Les besoins intellectuels, ni d’ailleurs le degré de l’instruction, ne sont donc pas en Amérique ce qu’ils sont en France, et