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ce pays, où personne ne la possède depuis longtemps, où beaucoup la perdent après l’avoir possédée, où surtout chacun compte bien l’acquérir un jour. Nul Américain n’a le sentiment qu’il puisse exister entre les individus des fossés infranchissables, et qu’un mineur enrichi depuis hier n’égale pas un spéculateur en terrains enrichi depuis trente ans, lorsqu’ils ont tous deux les mêmes perles au plastron de leur chemise et qu’ils savent se tenir découverts devant les dames dans un ascenseur.

En Europe les rites du savoir-vivre sont plus compliqués, le ton varie davantage suivant les milieux, et chacun fait partie d’un milieu social, qui détermine plus ou moins ses opinions politiques. Car ce ne serait rien d’avoir les mêmes opinions, si l’on n’avait pas les mêmes relations. Il en résulte que, les compétitions de partis étant pour une grande part des hostilités de classes, il entre dans les batailles électorales autant d’amour-propre que de passion objective pour ou contre les idées en cause. Nos dissensions intimes sont par là plus profondes.

Aux États-Unis, la politique est surtout une « affaire, » traitée comme telle par ceux qui la font ou qui l’inspirent. A part quelques hautes personnalités, que le soupçon n’effleure pas, et quelques grands courans auxquels on ne résiste pas, ce n’est pas une affaire très nette et il s’y fait pas mal de tripotages. Je ne saurais dire, faute de statistiques comparatives, s’il s’en fait beaucoup plus que dans telle monarchie ou dans telle république du vieux continent. Depuis trois ans, deux sénateurs, l’un du Kansas, l’autre de l’Orégon, convaincus d’avoir trafiqué de leur influence, ont été condamnés à la prison, et le maire transitoire de San Francisco, en 1907, avait fait un stage de quelque durée au bagne !

En effet, les politiciens du Nouveau-Monde sont plus avides que sectaires et, au risque de passer pour immoral, j’avoue que le premier vice me semble moins fâcheux que le second pour la bonne manutention de l’État. Charlemagne convertissait les Saxons par l’octroi d’une tunique neuve. C’est un moyen de gouvernement qui ne vieillira pas, et il est des cas où l’entêtement d’un honnête imbécile est plus funeste que la vénalité d’un politique indélicat.

On ne saurait vraiment dire aujourd’hui quel est le programme exact des deux partis traditionnels, qui se partagent les voix aux États-Unis sous l’étiquette de « républicains » et de