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le « travail d’enfant, » — dans ce milieu où l’homme travaille si fort. Elle s’y dérobe de bien des manières, disent les spécialistes et en tous cas si délibérément et avec tant de succès, que la proportion des unions stériles est incroyable. A Washington, dans telle maison à locataires, — appartement-house, — où demeurent 64 couples adultes, il ne se voit que deux enfans, dont un Belge !

Quoique l’Américaine soit la plus heureuse et la plus adulée des épouses, — le chevalier français de jadis n’était à cet égard qu’un brutal auprès du gentleman américain, — quoique, même dans les ménages populaires, ce soit au mari qu’incombent là-bas mille petits offices domestiques, toujours réservés aux femmes en Europe, la jeune fille ne se hâte guère vers le mariage. Les femmes de ce continent, défriché avec passion, restent vierges plus longtemps que la terre. Mariée tard, à un âge où cette première bataille de la gestation a de quoi les effrayer, elles l’évitent. Aussi ce n’est pas, comme en France, un état stationnaire que l’on constate, mais une dépopulation positive et très rapide. Elle est inapparente aux statistiques, parce que les vides sont comblés, et bien au-delà, par d’autres races ; mais c’est une Amérique toute neuve qui peu à peu se substitue à l’autre dans son berceau.

Il est permis, en se plaçant au point de vue économique, de remarquer que le commandement de la Bible n’a jamais été strictement obéi par l’humanité ; qu’aucun peuple n’a « crû et multiplié » pendant très longtemps et que, par exemple, si la population avait régulièrement progressé depuis la création du monde, ou seulement depuis cinq ou six siècles d’une façon mathématique, comme elle a fait en Europe depuis cent ans, nous serions, en France seulement, un milliard d’êtres humains difficiles à nourrir. Mais la Bible n’est pas un manuel d’économie politique, et Dieu a ses secrets de sociologie qu’il ne nous révèle pas. En fait, suivant des alternatives de hausse ou de baisse et pour des motifs connus ou mystérieux, la population s’est enflée ou réduite tour à tour dans l’aisance aussi bien que dans la misère.

Au point de vue des convenances personnelles de chacun, le précepte religieux de la procréation illimitée peut sembler dur et jusqu’à la barbarie. Mais n’est-il pas curieux que le rejet formel et de parti pris de cette loi divine, de ce « préjugé, »