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L’extrême lenteur de la conquête eut, du moins, ce bon effet que la pacification fut durable : on ne connut que deux insurrections, l’une et l’autre limitée, celle de 1871 dans les provinces d’Alger et de Constantine au lendemain de la guerre franco-allemande, quand nos effectifs dans notre colonie étaient tombés très bas, et celle de 1881 dans la province d’Oran.

L’Algérie d’avant 1830, sous le régime turc, ressemblait assez au Maroc contemporain. Un officier indigène, interprète principal à l’Etat-major de notre armée d’Afrique, M. Ismaël Hamet, dans un livre récent[1], plein de remarques fines et de suggestions intéressantes, qui doivent, toutefois, susciter certaines réserves, a décrit la société musulmane au moment de la conquête française, en y joignant une carte du « peuplement de l’Algérie sous les Turcs. » On y voit que l’autorité du dey, non seulement était très précaire, mais ne s’étendait qu’à une partie du territoire. Des districts étendus, même sur la côte, échappaient à son action. « Malgré une occupation de trois siècles, écrit M. Ismaël Hamet, les Turcs étaient loin d’avoir étendu leur pouvoir sur l’ensemble du pays, et il s’en fallait que les populations leur fussent également soumises. En effet, ils ne commandaient, en réalité, qu’à un petit nombre : tribus raïas ou sujets payant l’impôt et tribus makhzen ou agens du gouvernement. Ces tribus représentaient à peu près le huitième de la population que la France administre actuellement. Les autres tribus qui étaient vassales ou indépendantes se trouvaient réparties sur toute la surface du pays. L’examen de la carte donnant le peuplement de l’Algérie sous les Turcs montre combien était restreinte leur occupation du pays. En effet, au lieu d’étendre progressivement leur domination des rives de la Méditerranée vers le Sud, de se créer un territoire d’un seul tenant formant bloc, ils n’eurent que des fragmens de territoire sans cohésion, sans lien, où aucune organisation puissante n’était possible, où aucune sécurité ne pouvait régner et, par suite, aucune prospérité[2]. » Le dey ne se faisait obéir qu’avec la milice turque, qui composait toute sa force ; il percevait l’impôt, comme c’est le cas aujourd’hui au Maroc, par l’envoi de colonnes armées ou mahallas.

On voit combien cette situation se rapprochait de celle du

  1. Ismaël Hamet, officier-interprète principal à l’État-major de l’armée, les Musulmans français du nord de l’Afrique, Armand Colin, 1906.
  2. Ismaël Hamet, op. cit., p. 106 et 107.