Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impérieux des préfets : ce sont celles des délégués administratifs. Le pouvoir leur appartient : M. Clemenceau ne l’ignore pas, car il n’a fait aucun effort pour modifier cet état de choses, et c’est tout au plus s’il s’affiche avec moins d’indécence qu’autrefois. Il faut être peu au fait de nos mœurs politiques pour ignorer qu’aujourd’hui une faveur quelconque, surtout lorsqu’elle constitue une illégalité aussi notoire qu’une exemption des 28 ou des 13 jours, est le paiement d’un service électoral. Tout, dans ce pays, est devenu monnaie électorale ; l’administration en tient bureau ouvert ; et l’armée n’échappe pas plus que le reste à l’effritement continuel qui en résulte pour toutes nos institutions. Peut-être faut-il remercier M. le général Picquart, bien qu’il ne l’ait probablement pas fait exprès, d’en avoir donné une preuve de plus, et si frappante. On saura désormais, à n’en pouvoir douter, qu’un tiers des réservistes et des territoriaux n’ont pas fait leurs périodes d’instruction sous les prédécesseurs de M. le général Picquart, et M. Clemenceau restera seul à croire que c’est la faute des curés.

Quel vent d’imprudence et de folie souffle donc sur nous ? La situation générale du monde, bien qu’elle ne soit de nature à causer aucune inquiétude immédiate, ne saurait cependant être qualifiée de rassurante. Nous avons été déjà secoués par des alertes assez chaudes, et rien ne prouve que ce qui est arrivé hier ne se reproduira pas demain. Néanmoins, nous touchons sans cesse à notre armée, et nous y toujours pour l’affaiblir. Si cela n’arriverait qu’une fois par hasard, par accident, nous pourrions, tout en dénonçant le mal, ne pas trop nous en tourmenter ; mais nous procédons contre l’armée par des atteintes continuelles, comme si nous obéissions à une de ces lois de l’instinct contre lesquelles rien ne peut prévaloir. En est-il de même au dehors ? S’il en était ainsi, nous conserverions du moins notre force proportionnelle ; mais à l’étranger, l’effort militaire des grandes puissances va toujours en augmentant, soit sur terre, soit sur mer, tandis qu’en France il va toujours en diminuant. Où cela nous conduira-t-il ? La Chambre des députés n’est pas sans avoir quelque conscience obscure du danger auquel elle expose le pays, mais elle passe outre pour les motifs que nous avons indiqués plus haut. Il lui faudrait de l’héroïsme pour résister à de certains entraînemens, et elle n’en a pas. Le gouvernement, on l’a vu, n’en a pas davantage, en quoi sa responsabilité est plus grave, parce que ses lumières sont plus abondantes et ses devoirs plus précis. Après le vote qui réduisait les 28 et les 13 jours, personne n’était bien fier à la