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distingue par sa psychologie un peu courte, sa philosophie toute pratique, qui est celle de l’expérience et de l’intérêt, par le caractère du personnage qui n’a rien d’un héros, qui est tout l’opposé de celui que Cervantes appelait la Fleur des chevaliers errans, il est un chef-d’œuvre de notre littérature nationale. Assurément ce n’est pas par la moralité des principes, trop souvent cachée sous l’immoralité des actes, que Gil Blas, plus roué encore que poltron, aussi peu délicat en amour qu’en affaires, mais toujours enjoué et d’une humeur égale dans son égoïsme cynique, se recommande à la jeunesse. Pour qu’il puisse être lu par elle et qu’elle goûte l’excellence et le naturel d’un style clair et sobre, qui a la perfection dans la simplicité, il lui faut une édition comme celle faite à son usage par les soins de M. Louis Tarsot.

Un livre qui se présente tout naturellement à la pensée comme un thème d’inspirations pittoresques, c’est assurément celui de La Fontaine, et, si jamais œuvre se prêta à ces curiosités de mise en scène par lesquelles nous aimons à renouveler la parure de nos vieux classiques, c’est bien celle du conteur original et prime-sautier, du poète et de l’observateur de la nature, dont les Fables[1]répètent aujourd’hui ce qui se pensait il y a deux mille ans sur les bords du Gange et restera, dans l’antiquité du monde, la jeunesse de l’humanité. L’illustration en a tenté la verve imaginative et fertile de M. Vimar. Il sait donner aux animaux la physionomie, le geste et l’attitude d’êtres qui pensent et moralisent, et dont la morale, souvent déguisée comme eux, est un peu tout ce qu’on veut, tout ce qu’on voudra et semble faite pour ne gêner personne.

L’une des plus charmantes et des plus pittoresques interprétations qui aient été données de ce livre des Fables, qui se prête si bien à la fantaisie des talens les plus différens par la diversité même des personnages, la variété des paysages, des tableaux de mœurs, est celle de M. Benjamin Rabier[2]. Lui aussi, sait, à l’imitation du bon fabuliste, mettre dans l’expression des bêtes, les passions et les sentimens qui sont de tous les temps. A l’imagination de l’artiste les aventures de l’immortel héros de Daniel de Foë offrent également un thème inépuisable, et dans cette édition si intéressante à la fois par son illustration entièrement renouvelée et par son texte que rajeunit une élégante traduction, des lecteurs de tous les âges goûteront, avec Robinson Crusoë[3], les âpres joies de la solitude, de la lutte pour la vie et

  1. Mame.
  2. Librairie illustrée. Jules Tallandier.
  3. Librairie illustrée. Jules Tallandier.