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Les derniers artistes que j’ai connus chez M. Nodier sont Dauzats, Amaury Duval, qui a exposé un portrait de Mme Menessier (fille de M. Nodier), Gigoux, qui portait un habit bleu, par souvenir, disait-on, des Saint-Simoniens, qui avait une barbiche qui le faisait appeler par les enfans de Mme Menessier : la bête ; Huguenin, Franc-Comtois ; Jadin, un miniaturiste nommé Jacque. Celui-là appartient à la période antérieure. Je ne me le rappelle pas, mais je me rappelle sa fille, charmante personne, pleine d’esprit, qui dansait un soir avec Alfred de Musset. Elle avait de magnifiques anglaises, c’est-à-dire de nombreuses boucles de cheveux qui encadraient sa figure. Musset lui en faisait compliment. « Si vous voulez les admirer de plus près, » lui dit-elle… et elle les lui mit dans les mains. Les cheveux étaient attachés après de petits peignes et se fichaient tout frisés ! J’étais encore enfant, et je me rappelle mon profond étonnement en voyant Mlle Jacque ôter et remettre ses cheveux.

Vous ne pouvez vous figurer le laisser aller, l’entrain, la gaieté de bonne compagnie qui régnaient dans ces soirées du dimanche. Il y avait un ton, une manière de parler particulière à laquelle on se faisait bien vite. On y prenait une espèce d’accent franc-comtois. Je vous assure qu’à cette époque j’aurais pu reconnaître à la manière de parler un habitué de l’Arsenal… Chacun, en arrivant, avait toujours sa petite histoire à raconter. Je n’ai jamais vu rentrer M. Nodier, sans qu’il eût quelque chose à raconter, une rencontre, je ne sais quoi. Il avait mis cela à la mode et chacun en faisait autant. M. Taylor (j’ai oublié son filleul Justin Ouvrié), Dauzats, Amaury Duval ne manquaient jamais de s’y conformer. Dès leur arrivée, ou faisait cercle autour d’eux.

Pour le moment, voilà tout ce que je me rappelle… Je sais combien les inexactitudes d’Alexandre Dumas, lorsqu’il parle de l’Arsenal dans ses Mémoires, m’ont fait de peine. Je ne veux pas m’exposer à rendre cette peine à d’autres personnes.

EUD. SOULIE.


Notons seulement quelques-uns des traits qui caractérisent le salon de Nodier. C’est d’abord que les artistes s’y rencontraient avec les écrivains ; et les « usurpations réciproques de la poésie et de la peinture » sont une des nouveautés qui définissent le romantisme. C’est encore que ce salon fut un salon et non pas une « boutique romantique. » On y lisait des vers ; mais aussi on riait, on contait, Marie chantait, Musset dansait. Les invités étaient jeunes ; le maître de la maison était paternel. Rien d’étroit ni de guindé : rien pour l’effet ni pour la réclame. Grouper ses amis dans ces réunions intimes et charmantes, où ils mettaient en commun leurs idées et leurs projets, ce fut peut-être le plus réel service que Nodier rendit au groupe romantique.

Vers le même temps, l’écrivain arrivait à dégager la note qui lui est vraiment personnelle. A l’exception de Trilby, publié en 1822,