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de définitions les plus ingénieux et les plus souples. Il fallait à l’école nouvelle un organe officiel : la Muse française, qui paraît de 1823 à 1824, et comptera Nodier au nombre de ses principaux rédacteurs. Et il lui fallait un salon. Ce sera, à partir de 1824, l’Arsenal.

Sur ces réunions de l’Arsenal, tous ceux qui y ont été admis ont dit leur mot ; personne ne l’a fait avec plus de charme que Musset : les jolis vers de la Réponse à Charles Nodier (1843) sont dans toutes les mémoires. Mais voici, pour contrôler les récits de Mme Menessier Nodier, de Dumas, de Mme Ancelot, un curieux document inédit. C’est une lettre que M. le marquis de Chennevières a bien voulu tirer pour nous de ses archives. Elle est signée d’Eudore Soulié, fils de l’un des collègues de Nodier à l’Arsenal, et qui, — avec le futur auteur de la Dame aux Camélias, — représentait dans ce milieu la « petite classe. » En se défendant d’évoquer des souvenirs personnels, l’auteur de cette lettre intime esquisse, de la façon la plus vivante, la physionomie de ce salon modeste et brillant, — où l’on s’éclairait aux chandelles.


… Du salon de Nodier avant 1830, impossible de me rappeler quelque chose. J’étais trop enfant. Et pourtant, ce devait être le beau moment, moment qui a laissé des traces, car je me rappelle vaguement les magnifiques albums de Mme Nodier et de sa fille, tout couverts d’autographes et de dessins. Le seul de ces derniers qui me soit resté bien présent est une vigoureuse aquarelle d’Alfred Johannot représentant Othello tuant Desdemona. Vous rappelez-vous cette manie, cette fureur d’albums qui possédait à cette époque la société parisienne ? Toutes les dames avaient des albums dont la couverture en mosaïques de diverses couleurs est restée dans ma mémoire. Les gens de lettres et les artistes ne savaient, à quel album entendre. J’ai entendu raconter qu’un amateur forcené avait enfermé à clé un artiste auquel il avait porté son album, en lui annonçant qu’il ne le délivrerait que lorsqu’il aurait rempli sa page. Car dans l’album parfait rien ne devait être collé. Tout devait être écrit ou dessiné dans le livre.

A cette époque, que je n’ai pas connue, se rattachent nécessairement MM. de Cailleux et Taylor, Gué le décorateur, Achille et Eugène Dovéria, Alfred etTony Johannot, Régnier le paysagiste, Paulin Guérin, qui a exposé le portrait de Nodier sous la Restauration, un lithographe anglais M. Huilmandel, et sans doute la plupart des artistes qui ont travaillé aux premières livraisons du Voyage Pittoresque, c’est-à-dire à votre chère Normandie. Puis Louis Boulanger, l’ami de Victor Hugo, Eugène Delacroix. Mlle Nodier avait mis en musique des Orientales de Victor Hugo, des vers d’Alfred de Musset, C. Delavigne, Dumas, Mme Desbordes-Valmore. Elle chantait elle-même ses compositions, qui formeront un album orné de lithographies faites par tous les amis de l’Arsenal. Il y avait aussi Pierre Franque (l’un des fondateurs de la secte des penseurs) dont la fille, Isis, avait épousé le frère de Mme Nodier.