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romantique ; seulement, à l’époque où Nodier partait à la chasse du nouveau, toutes les nouveautés étaient celles qu’apportait le romantisme. Elles vont, une à une, s’imposer à lui ; il se prêtera tour à tour à chacune d’elles ; en sorte que la série de ses écrits nous présente dans l’ordre même de leur chronologie les élémens successifs qui sont venus se combiner dans le romantisme en formation.

Le premier en date est l’élément werthérien. Nodier a vingt-deux ans quand il publie son premier roman, les Proscrits. C’est le bon âge pour subir l’influence régnante. À cette date de 1802, où parait le Génie du christianisme, on ne peut voir en Nodier un disciple de Chateaubriand. Les Proscrits ne procèdent pas seulement d’Atala et des Rêveries de Senancour ; ce qu’il faut dire, c’est qu’ils attestent le long travail qui s’est fait dans les esprits et dont Chateaubriand n’est que l’écho magnifique. Ils révèlent l’état d’esprit d’une génération qui va se reconnaître dans l’œuvre du grand enchanteur, et en faire le succès immédiat et retentissant. Nodier dresse dans son roman le catalogue d’une bibliothèque de choix. « Le premier des livres, la Bible, y avait le premier rang ; près d’elle était placé le Messie de Klopstock… Plus bas je distinguai Montaigne qui est le philosophe du cœur humain, entre Shakspeare qui en est le peintre et Richardson qui en est l’historien. Rousseau, Sterne et un petit nombre d’autres venaient ensuite. Lovely me pressa doucement la main, me fixa d’un air mystérieux, tira de son rayon une boîte d’ébène, l’ouvrit avec précaution et en ôta un volume enveloppé de crêpe. « Encore un ami, » dit-il en me le présentant. C’était Werther ! » Cette bibliothèque contient à peu près tous les livres où s’est formée la génération nouvelle ; c’était celle de Nodier, vers le même temps. Et son roman s’adresse à ses camarades en Werther : « C’est pour vous que j’écris, êtres impétueux et sensibles qui avez été froissés de bonne heure par le choc des passions et dont l’âme s’est nourrie des leçons de l’infortune. » L’exaltation de la sensibilité, issue d’influences littéraires et développée par le bouleversement de la Révolution, c’est ce que Nodier a d’abord emprunté à son temps ; et c’est ce tourment qu’il a traduit, parce qu’il croyait en souffrir lui-même.

On a très justement remarqué que Werther, apprécié avant la Révolution comme un roman d’amour, n’était devenu qu’après elle un bréviaire de mélancolie[1]. La mélancolie plane sur ce premier livre de Nodier et elle s’empare une fois pour toutes de son œuvre. On

  1. Cf. Texte, Études de littérature européenne. »