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quand nous voulons y démêler ce qui est de la fiction et ce qui est de la réalité, nous y perdons notre latin. M. Salomon a pu préciser plus d’un point de détail. Avec raison, il a donné la plus grande importance à la partie de son livre où il nous présente Nodier, je ne dis pas comme chef d’école, mais comme centre de groupe. Il s’est appliqué à nous dresser une nomenclature aussi complète que possible des habitués de l’Arsenal. Mais il s’est laissé gagner au charme que dégage la personne même de Nodier ; il a mis tout son plaisir à entrer dans l’intimité de l’homme ; il a laissé de côté l’étude proprement littéraire, celle des idées, des théories, des goûts de Nodier. Sur ce sujet, le seul dont nous voulions nous occuper ici, on trouverait de bonnes indications dans le livre que M. Ch.-M. Desgranges intitule : La Presse littéraire sous la Restauration. L’auteur de ce remarquable travail de patience a pris la peine de dépouiller les principaux périodiques de la Restauration : libéraux, romantiques, doctrinaires. Après nous avoir donné de précises monographies de ces recueils pour la plupart éphémères, les Mercures, les Censeurs, les Tablettes, il dégage de chacun d’eux la doctrine souvent flottante et souvent changeante, et il en exhume, au sujet des grandes œuvres contemporaines, Méditations, Eloa, Orientales, des appréciations pleines de saveur. Essayons, pour notre part, d’indiquer l’intérêt que pourrait avoir une étude des débuts du romantisme ordonnée autour de Nodier.

Dirons-nous qu’il avait le tour d’imagination romantique ? Rien n’est plus conciliable avec une existence foncièrement bourgeoise. Il était de bonne famille provinciale, fils de magistrat. Il fut bibliothécaire à dix-sept ans et mourut bibliothécaire. Il avait fait à vingt-huit ans un mariage que nous qualifierons de délicieux, en dépit de La Rochefoucauld ; il fut un époux modèle, un père exquis ; sa maison, famille et amitié, vertu et agrément de l’esprit, fut célèbre, pour son charme d’honnêteté. C’est donc qu’il ne mit pas son romantisme dans sa vie et qu’il ne fut pas, comme d’autres l’ont été, dupe de ses propres chimères. On ne peut que l’en féliciter. Mais cet homme paisible avait le goût des aventures. Écolier quand éclata la Révolution, il vit surtout dans le désordre des temps une occasion de faire l’école buissonnière, d’échapper à toutes règles et de ne suivie que sa fantaisie. Il avait tout enfant péroré dans des clubs de gamins et joué au patriote. Il fit partie de sociétés secrètes, Philadelphes et tutti quanti, et se réjouit de s’affubler d’oripeaux de mascarade. Des lettres qu’a retrouvées M. Salomon nous décrivent les réunions de « gens extraordinaires » où il était assidu : « Hier j’allai au monastère de