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et du martyre d’un jeune jésuite au temps d’Elisabeth : mais les figures y ont un relief si marqué, le milieu où elles s’agitent nous est reconstitué si fidèlement, et l’auteur y a si ingénieusement combiné et gradué les catastrophes qui échoient à ses personnages, que le lecteur, le plus difficile est forcé de le suivre avec une curiosité frémissante, jusqu’à l’horrible et triomphale agonie de son jeune martyr. Et le P. Benson ne s’en est point tenu au seul champ de l’histoire : nous avons eu de lui des romans de mœurs contemporaines, après quoi est venu un recueil de contes « occultistes ; » et voici maintenant\que, rivalisant avec M. Wells, cet infatigable inventeur nous entraîne avec lui dans l’avenir, pour nous faire assister à la fin du monde[1] !

Je me rappelle que jadis, à vingt ans, parmi bien d’autres projets longuement médités et puis abandonnés, j’avais rêvé d’écrire un « roman des temps futurs, » à la manière de ceux que produisaient alors, un peu partout, des romanciers socialistes ou simplement « scientifiques. » Mais tandis que tous ces romanciers ne s’occupaient que du côté extérieur de la vie de nos descendans, nous montrant la manière dont on voyagerait, au XXIe siècle, ou dont on se meublerait, ou dont seraient répartis le travail et le capital, mon intention était de décrire plutôt l’âme et la vie intérieure des hommes de demain, d’après la transformation que je voyais s’opérer déjà dans les sentimens et les idées morales de notre temps présent. Je me divertissais à imaginer une race où régneraient, désormais sans aucune réserve, la sottise, l’égoïsme, et la grossièreté, une race achevant de revenir à l’animalité primitive, parmi tous les progrès du bien-être et du luxe, jusqu’au jour où l’application universelle du malthusianisme aurait réduit la population de notre globe à une centaine de « dégénérés, » incapables même de tirer profit des ballons dirigeables, automobiles, microphones, et autres « conquêtes de la civilisation » qu’ils auraient sous la main[2].

Je projetais là, sans m’en douter, un roman religieux : car j’ai reconnu depuis lors que le meilleur moyen de sauver les races futures de la dépravation et de l’abrutissement serait de

  1. Lord of the World, par R. H. Benson, 1 vol. Londres, librairie Pitman, 1907 Le recueil des contes, paru précédemment à la même librairie, était Intitulé : The Lady of Shalott.
  2. On trouvera, d’ailleurs, une conception analogue des « temps à venir » dans l’admirable Machine à mesurer le temps de M. Wells (traduit par M. Davray, à la librairie du Mercure de France).