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et l’on ne peut guère douter que le gouvernement général, laissé à sa libre inspiration et connaissant mieux que personne les difficultés actuellement menaçantes, serait enclin à le faire ; mais une pareille audace ne déchaînerait-elle pas la colère des loges, des « délégués, » et de certains personnages politiques ? Le gouverneur, contre de pareils adversaires, serait-il soutenu en haut lieu ? N’a-t-on pas vu, en Tunisie, les franc-maçons exiger et obtenir la fermeture des écoles congréganistes ? Les enfans de toutes nationalités qui y étaient élevés sont allés pour la plupart aux écoles italiennes : le principe de « laïcité » a remporté un triomphe de plus, mais c’est aux dépens de l’intérêt national. Pour pallier les mauvais effets de la séparation en Algérie, ce ne serait pas trop cependant de toutes les facultés laissées au gouvernement général par le décret du 27 septembre. Il serait même à désirer que, par une large interprétation de l’article 2, le gouverneur se considérât comme autorisé à accorder des subventions à des aumôniers de colonisation, comme il en accorde à des aumôniers de lycées et de prisons, ou comme il paye des médecins de colonisation : ce serait le seul moyen de pourvoir au service du culte dans les centres nouvellement créés et d’y assurer aux colons cette liberté de conscience que promet l’article 1er de la loi ; car enfin, pour qu’une liberté existe il ne suffit pas qu’elle soit écrite dans un texte, il faut encore que les citoyens aient pratiquement la possibilité d’en jouir. Tout cela ne serait pas encore suffisant pour empêcher la loi de séparation de produire en Algérie des effets destructeurs, et cependant n’est-ce pas déjà demander, au libéralisme éclairé et au patriotisme de M. Jonnart, plus qu’il ne lui sera, on peut le craindre, permis d’accorder ?


Après cette enquête sur les conséquences, pour les différens cultes, de la séparation des Églises et de l’État, nous sommes en droit de conclure que la loi et le décret qui n’en est qu’une insuffisante atténuation seront nuisibles au développement, à la tranquillité, peut-être à la sécurité de l’Algérie. Dans un pays neuf, dont le caractère dominant est l’absence d’homogénéité, la séparation va produire an effet de dissociation ; au lieu d’aider à la fusion des élémens disparates dont se compose le peuple algérien, elle va introduire un élément nouveau de discordes, entre Français d’abord, entre Français et étrangers, entre Européens