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embroché, à la pointe d’une faux… Elle faisait des bonds de chevreuil, et des ondulations de lynx et des diableries de sorcière, et elle se cachait derrière le tronc d’un arbre d’où elle avançait la tête tantôt à droite, tantôt à gauche… »

Mais le poète s’est enfoncé plus avant dans la forêt sauvage, sur le chemin farouche des anciennes sagas, à travers tous ces blocs de pierre que les Trolls des montagnes tirent jadis rouler contre les moines chrétiens. Sa fantaisie va remuer au fond des âmes le vieux limon de paganisme d’où s’élèvent tant de formes étranges. Ni la messe catholique, ni le prêche protestant n’ont entièrement exorcisé les campagnes suédoises. Les siècles ne les ont pas désenchantées de leurs superstitions primitives. L’esprit païen revient dans les fermes solitaires comme un mort mal enterré. Il y souffle de sombres violences ; il y prend parfois une face naïvement incestueuse ou barbare. On le chasse ; et gauche, lourd, désorienté, inintelligent et triste, il s’écarte en grognant. C’est ce grognement que Fröding a rendu dans les vers heurtés et rauques du Vieux Troll de la Montagne, un des chefs-d’œuvre de la poésie suédoise :

« Nous louchons bientôt au soir, et bientôt il fera nuit noire. Je devrais retourner au fjell maintenant ; mais ici, dans la vallée, on est si bien ! Sur le plateau des fjells où tourbillonnent les tempêtes, il fait si solitaire, si vide et si froid ! On est si bien où demeurent les gens : dans une vallée tout est si beau et si vert ! Je songe à la belle princesse qui passait, ici l’autre jour, et qui avait de l’or jaune sur la tête : quel bon morceau ! Les petits hommes s’écartent et, quand ils sont en sécurité, ils me montrent du doigt et s’écrient : « Pouah ! quel grand vilain Troll ! » Mais elle avait de beaux yeux et un doux regard, et elle me regarda doucement moi, pauvre vieux balourd, bien que j’aie des yeux sauvages et un regard méchant et que tout ce qui est beau me fuie. Je voudrais la cajoler et la baiser, bien que j’aie une affreuse bouche, et je voudrais la bercer et la dorloter et l’endormir dans mes bras. Et je voudrais aussi la mettre dans un sac et l’emporter pour en faire mon souper de Noël et la manger apprêtée et dressée sur un plat d’or. Mais, hum ! hum ! je suis bête, moi. Qui me regarderait ensuite d’un regard doux et tendre ? Quelle vieille bête je fais et quelle bête de caboche ! Il faut laisser tranquille cette enfant chrétienne, car nous autres Trolls, nous sommes des Trolls ; et, quant à manger la belle, on ne