la lune, le marguillier lui offre la chambre du vétérinaire. Mais l’église de Floda, qui date elle aussi des temps idolâtres, vieille bâtisse contrefaite et trapue, renferme d’extraordinaires peintures de chevaliers et, plus extraordinaire encore, le portrait d’une grande dame du grand siècle aux épaules décolletées. Et surtout elle possède un pasteur dont il faut être au moins anabaptiste pour ne pas accourir de dix lieues à son prêche.
J’aime les pasteurs suédois. Chaque fois que j’ai douté du bonheur terrestre, je me suis rappelé leurs presbytères, toujours situés au plus bel endroit des vallées de larmes, leurs seigneuriales allées de bouleaux, le confortable de leurs demeures, la physionomie appétissante de leur salle à manger, et la sérénité du cabinet de travail où se recueillent, en cravate blanche et en redingote noire, ces notaires de l’Evangile. Ils sont indépendans des hommes et vraiment les élus de Dieu. Le respect qu’on a pour eux fait partie des héritages. Leurs femmes soignent le temporel avec la même économie qu’ils administrent le spirituel. Leurs fils brillent aux Universités. Ils marient toutes leurs filles. En septembre, ils mènent leurs gendres à la chasse de l’élan. Le chemin du salut passe sur leurs propriétés.
Mais le pasteur de Floda ressemble moins à un notaire qu’à un prophète, un robuste et copieux prophète dalécarlien. Quand je vis ses longs cheveux, sa face rase, et, sous la solide maçonnerie de son front, ses yeux de paysan candides et fins et ses lèvres de bon vivant, je ne songeai pas seulement au saint Elie de Karlfeldt ; les vers d’un jeune poète suédois mort au temps du romantisme, les vers de Vitalis me revinrent en mémoire : « Le Pasteur connaît son Josué et sait comment on mène les enfans d’Israël en terre de Chanaan… » Et de cette ironie un peu guindée, ma pensée sauta à l’humour plantureux de Fröding, le plus grand des poètes de la Suède contemporaine : « Notre curé est rond comme un fromage et savant comme le Malin lui-même. Mais il ne fait pas de manières… un brave homme qui boit son café comme nous et qui aime à manger comme nous… Seulement, c’est autre chose aux jours de fête. Dès qu’il a mis son manteau de prêtre, nous nous sentons misérablement petits. Alors il grandit ; il est curé de la tête aux pieds, un vrai curé, le curé d’un grand presbytère avec annexe. Je n’oublierai jamais combien il était respectable la semaine dernière, sous sa chape et son rabat, et comme il moulait dans un moulin les enfans de