l’allée des bouleaux, où bientôt se pressera la même foule qu’hier. Le traîneau s’est arrêté. Six hommes ont chargé la bière sur un brancard. Au moment où l’on pénètre dans l’endos du cimetière et où le vicaire ouvre le livre des psaumes de ses doigts bleuis, les cloches de l’église commencent de sonner l’office, et, du fond de l’horizon, les tintemens des grelots qui galopent éparpillent au-dessus des champs de neige un immense et léger carillon. Si nous gardons au cercueil quelque sentiment des choses d’ici-bas, voilà donc un mort enviable ! A peine dix personnes suivent son convoi ; mais quel défunt fut jamais accompagné d’un plus beau cortège de sonneries ? Les routes où il a marché, les champs et les bois où il a peiné, les collines qu’il a gravies derrière ses troupeaux, tous les coins de terre où il a songé le songe obscur de la vie, accourent autour de sa fosse et lui jettent, en guise d’adieu, les sons de cloches et de clochettes qui, depuis plus de cinquante ans, chantèrent à ses oreilles la douceur de Noël et l’éternelle jeunesse de son pays.
Pendant ces après-midi de Noël où tout dort, hommes et bêtes, j’ai visité les installations des trois peintres de mon hôtel, Vallén, Nyberg et Ankarkrona. Ils ont loué de très vieilles fermes avec un auvent en forme de guérite, et des lits comme en Bretagne, des berceaux de cuir suspendus au plafond, des sièges taillés à même le tronc d’arbre. C’est là qu’ils passent leur vie, simplement, discrètement, dans l’adoration du ciel dalécarlien et dans l’amour du paysan et de son rouge foyer. Vallén se plaît aux colorations de l’automne, et tous trois désespèrent d’attraper les nuances fugitives de la neige. Ankarkrona s’attache de préférence à ce qui porte l’empreinte du labeur humain : champs de culture et salles d’école. Nyberg fait valoir les jolies Dalécarliennes aux reflets de leur âtre. Je n’ai rien vu de plus charmant que son Habillage de Mariée. Devant le feu qui l’illumine, corsage blanc et jupe verte, la mariée se tient, splendide, pendant que, derrière elle, l’habilleuse du village lui essaie son collier. Près du foyer, sa mère et sa sœur la regardent, moins préoccupées de l’admirer que de surveiller sa toilette. Mais, au premier plan, assise sur la banquette, le corps projeté en avant, la tête tendue hors de la pénombre, une vieille femme boit avidement cette évocation de sa jeunesse.