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à un calcul de compensations scrupuleuses d’où il résulte que chacun d’eux hérite à la fois d’un quart de canton pauvre et d’un quart de canton riche. À leur tour, et sans tenir plus compte de l’éloignement que les théologiens n’évaluent la distance du monde aux étoiles, les fils morcelleront leur patrimoine. Mais les tronçons des terres mutilées essaient de se ressouder par les mariages, et l’instinct des enfans répare quelquefois le mal qu’a fait la justice des pères. Il se dégage de leurs efforts entremêlés un amour religieux pour cette glèbe où l’esprit a creusé des fossés plus profonds que les sillons de la charrue.

Devant Olof Larson, j’ai l’impression d’entrer dans un monde aussi singulier que ce paysage de Noël. Ce n’est pas que les routes, les champs, la ligne des horizons me surprennent ou me ravissent ; mais la lumière en est si délicate, si pure, si merveilleusement spirituelle que la monotonie et même la platitude des choses en reçoivent une idéale beauté. Vieilles traditions d’où éclôt, en les brisant, l’esprit d’aventure ; rigueur théologique et âpreté paysanne ; combat silencieux et laborieux entre les idées et les intérêts : la Suède est là qui se mire tout entière dans le microcosme d’une commune dalécarlienne.

Cinq heures du soir. Le soleil s’est depuis longtemps couché ; mais partout, sauf où les bouquets d’arbres s’épaississent, il fait lumière de neige ; et partout, à l’orée des bois, aux flancs des collines, au milieu des champs, de petites clartés jaunes tremblent derrière les vitres, comme si l’année en mourant avait semé toutes ses étoiles sur la Dalécarlie. La route où glisse notre traîneau est un grand fleuve pâle entre deux rives de pins noirs.

Des parens de Larson habitent au bord de la route une ferme centenaire. Le feu de bois brûle dans l’âtre de l’unique chambre, et la flamme rougit, en face de la cheminée, une vieille armoire et deux lits superposés comme nos lits de Bretagne. Le pain sèche sur des poutres suspendues par des montans aux poutres du plafond. Près de l’horloge, trois rayons de bibliothèque supportent les lectures de la famille à travers le siècle : une collection de sonnons, des livres de médecine et la Bible.

La veillée de Noël a commencé. On vient d’allumer l’arbre. On a posé sur la table des gateaux secs, de petites pommes rouges, du café, et, dans une cruche d’argent, la bière noire