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l’inquiétude de ses graines vigoureuses. Il a une fille au Natal et un gendre en Allemagne, près de Celle, comme ses ancêtres avaient des fils enterrés dans les champs de la Pologne et dans les steppes russes. L’émigration est au flanc des pays Scandinaves la plaie toujours béante, d’où s’échappe, chaque année et de chaque famille, le sang le plus dispos et le plus frais. On émigre par pauvreté, par ambition et aussi par appétit d’aventures. Faut-il le déplorer ? Des plaies sont nécessaires, dont la cicatrice tuerait le malade. La Suède respire par cette ouverture saignante un air que réclame son perpétuel längtan.

Olof Larson voyage : il va rendre visite à sa fille d’Allemagne. Revenu au pays, il réendosse la peau de mouton et renoue son tablier de cuir. « Il n’y a que nos femmes qui sachent préparer une peau si souple et donner à la laine une douceur égale. » Mais, d’ici vingt ans, ce costume trop coûteux aura disparu. La Dalécarlie est pauvre. On y appelle riche un paysan qui dépose deux mille couronnes à la banque. Et les petites propriétés, où les familles pendant si longtemps ont imprudemment vécu sur le capital de la forêt, sont menacées, depuis un demi-siècle, par des Sociétés dont l’intérêt matériel du pays voudrait qu’elles parvinssent à les englober et à en exploiter les bois comme une moisson régulière, mais dont son intérêt moral exige que les paysans luttent et soient soutenus contre leurs empiétemens. Car le paysan qui vend sa forêt n’en retire pas de quoi posséder dans sa province une nouvelle terre. « Et, me dit Larson, qu’il quitte la Dalécarlie ou la Suède, c’est tout un : il se dénationalise. » Forte parole d’un homme qui conçoit pleinement la vertu de son terroir, et en qui s’accuse l’esprit régionaliste de la patrie suédoise. Un Dalécarlien ne se fait pas Norrlandais sans déchoir. Il sort amoindri d’une communauté de souvenirs dont le cadastre est l’image sensible. Les propriétés dalécarliennes s’enchevêtrent et s’enclavent les unes dans les autres, si bien que les champs d’un propriétaire ressemblent aux pions d’un joueur de dames vers la fin de la partie. Larson avait acheté le bien d’un paysan qui n’avait qu’un cheval et quatre bœufs : il y compta vingt-deux terres dont l’une était à trente kilomètres au nord et une autre à vingt-cinq kilomètres au sud. Ces complications sont l’œuvre du temps et d’une ardente idée de justice dont l’intelligence Scandinave souffre jusqu’à la sécheresse. Le père qui partage sa propriété entre ses quatre enfans se livre