Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des gens qui maudissaient l’Inquisition catholique ont brûlé sept vieilles femmes accusées de sorcellerie. De l’autre côté du chemin, le presbytère et l’église, une vénérable église surmontée d’un clocher en forme d’oignon. Sous leurs fenêtres coule le Dalelf au fort courant : il charrie des glaçons et reflète le vol des cygnes qui crient surtout vers le soir. Ni bourg, ni village ; un bout de rue, une belle maison, celle du juge, et des maisons de bois rouges posées et disséminées sur des champs de neige. Les sommets des collines boisées sont entrecoupés d’emplacemens nus et blancs : pâturages et chalets où les troupeaux et les pâtres montent au mois de juin et qui furent souvent un pèlerinage pour les âmes tristes.

Le verglas bleuâtre de la route craque sous les bottes d’un pesant Dalécarlien dont la pelisse en peau de mouton, bordée de laine, laisse passer son tablier de cuir. C’est Olof Larson, banquier de Leksand et paysan par la grâce de Dieu. Sa grosse tête aux yeux fins et au sourire malicieux et toute sa prestance scandent la chanson dalécarlienne : « Le diable m’emporte si je m’écarte d’une semelle d’où j’ai le droit de me tenir avec honneur ! » Ce que je suis venu faire en Dalécarlie, comment le dirais-je à ce patricien rural ? Comment pourrais-je lui dire : « Je voudrais sentir avec vous le stämning de Noël. On a tué le porc chez vous et brassé la bière noire. Quand vous allumerez le sapin, permettez-moi de m’asseoir dans l’encognure de votre foyer. Il me plairait d’entendre vos psaumes et de participer à votre silence. Par surcroît, je souhaiterais que vous m’ouvrissiez votre tête bien suédoise, où doivent reparaître, à la chaleur de cet instant solennel, tant de vieilles effigies presque effacées sous l’usure des jours. Nous ne connaissons plus, dans le pays que vous continuez d’appeler le Royaume de France, ces grandes fêtes qui sont des communions d’âmes. Je suis venu pour essayer de cueillir au cœur de votre hiver la minute heureuse dont l’éclat me semble si intime et si doux. » Je ne parlerai jamais ainsi à Olof Larson. Il ne m’ouvrira ni son foyer, ni sa tête. Et je comprends une fois de plus la vanité de ce rêve du voyageur d’être où il passe l’hôte invisible qui écarte les voiles sans en remuer les plis.

Causons donc avec ce notable. Il représente à sa façon la Suède traditionnaliste, orgueilleuse, campagnarde, et qui, de la glèbe où elle enfonce ses pieds, continue de jeter au vent